Denise Duval, la voix humaine


C’est l’histoire d’une amitié qui marquera les plus belles pages du répertoire lyrique du XXème siècle.

Au commencement était une voix cristalline, celle d’un rossignol. Denise Duval, la plus parisienne des sopranos, naît le 23 octobre 1923 dans le 15e arrondissement de Paris. Après une carrière à Bordeaux, ses amis lui soufflent l’idée de se produire à Paris. Elle se retrouve ainsi propulsée sur la scène des Folies Bergères, et son timbre séduit le compositeur français emblématique du XXème siècle, Francis Poulenc : « de suite, je fus frappé par sa voix lumineuse, sa beauté, son chic, et surtout ce rire sain […]. En un instant, j’étais décidé. C’était l’interprète rêvée. » Denise incarnerait la voix d’une époque, elle chanterait les plus grands rôles de Poulenc, qu’elle surnommait affectueusement Poupoule.

Dans un entretien accordé au journaliste Antoine Livio en 1983, la cantatrice dévoile les coulisses de la création artistique de la Voix humaine, tragédie lyrique qui la propulse sur le devant de la scène musicale. Face à Jean Cocteau, qui écrit le texte, et Francis Poulenc, le compositeur, elle sait s’affirmer. Elle raconte cet épisode désopilant : « Une fois ou deux [Jean Cocteau] me dit  » vous faites ça  » mais je trouvais que c’était pas du tout ce que je pensais. Il me regarde et me dit « mais ça ne vous plaît pas ?  » alors je fais ce qu’il me dit. Puis il s’arrête et dit « bon, faites ce que vous voulez maintenant « . J’ai fait ce que je sentais, et il s’est exclamé  » Ah ! il ne faut surtout pas quitter ça ! Ça c’est bon !   » Vous voyez, l’homme intelligent. »    

Denise Duval fait le pari que grand nombre d’interprètes peinent à faire : celui de la co-création. On doit à cette musicienne une lignée d’interprètes qui ont hérité de son savoir-faire et incarnent avec brio leur rôle, y imprimant leur personnalité au point de le rendre vivant pour des décennies.

Une voix singulière 

« Ah ! Ce qu’elle m’emmerde cette Voix humaine… Je te préviens, Delouche, c’est la dernière fois », se récrie Denise Duval face au réalisateur Dominique Delouche en 1970, alors que la chanteuse, qui s’est retirée de la scène cinq ans plus tôt, n’est plus en état de chanter. Le réalisateur a rappelé la cantatrice pour lui exposer son projet : faire de cette tragédie lyrique un film. Pour notre plus grand bonheur, Denise Duval accepte ; le film est tourné.

Au-delà de la grande soprano, on découvre, dans des archives radiophoniques, la gouaille parisienne et effrontée de Denise Duval, bien loin du rossignol chéri de Poulenc. On découvre aussi leur amitié, si précieuse. « Je n’ai jamais réalisé que c’était un grand compositeur à ce point-là, tellement nous étions dans la vie courante plus que proches. Je sais moins de choses de la vie passée de mon mari que je ne sais de Francis Poulenc. »

Denise Duval sut se faire respecter en tant qu’interprète par sa verve inégalée, son intelligence artistique et humaine, son élégance, jusqu’à la fin de sa vie le 25 janvier 2016. La chanteuse au timbre si reconnaissable interpréta Blanche dans Dialogues des Carmélites, le plus bel opéra de Francis Poulenc, donné en 1957 à l’Opéra Garnier. Ce rôle valut aux deux amis la reconnaissance éternelle des critiques, des musiciens et du public. Celle qui vécut quatre-vingt-treize ans fut le témoin privilégié d’un siècle traversé par l’enthousiasme artistique qui permit aux interprètes de surpasser leur rôle en s’investissant dans la création.

Les musiques de Francis Poulenc sont encore fréquemment interprétées sur les scènes parisiennes et internationales, et si l’on tend l’oreille, on peut entendre les chuchotements de Poulenc et de Denise qui s’amusent, ensemble, à redécouvrir leur œuvre, entre deux jurons bien placés de la cantatrice.

© Marie Jérémie

Correctrice : Stéphanie Cstlr

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