Alors que la volcanologie en est à ses débuts, Katia Krafft va véritablement changer le visage de cette discipline. Catherine Joséphine Conrad naît dans la vallée du Rhin, dans le nord-est de la France, en 1942. Elle rencontre son futur mari Maurice Krafft en 1966 à l’Université de Strasbourg. Le couple est fusionnel. Elle est chimiste, il est géologue ; tous deux vont arpenter les volcans du monde entier.
Une volcanologue avant-gardiste à qui l’on doit une grande partie des connaissances actuelles sur les volcans
Dans les années 60, l’état des connaissances sur la volcanologie et la tectonique des plaques [1] est plutôt maigre. Les découvertes de Katia et Maurice Krafft vont permettre de grandes avancées notamment au niveau de la prévention des risques et de la vulgarisation des connaissances. Le couple adopte, par exemple, une classification des volcans actifs qui distingue deux types. Les volcans « rouges » effusifs, caractérisés par de longues coulées de lave. Ce sont eux que les Krafft ont d’abord étudiés. Et les volcans « gris » explosifs, beaucoup plus dangereux car moins prévisibles, dont l’éruption se fait sous forme de nuée ardente. Le couple va finalement concentrer ses recherches sur le second type jusqu’au jour fatidique de leur mort le 3 juin 1991, au Japon, sur le mont Unzen, leur poste d’observation se trouvant trop près de l’explosion. Des marques au sol indiquent qu’ils se trouvaient côte à côte [2].
Katia est la seule femme volcanologue à l’époque à étudier les volcans actifs in situ. Elle et son mari filment toutes les explosions auxquelles ils assistent et effectuent des prélèvements (roches et gaz) qui permettront aux scientifiques de modéliser le comportement des volcans. Leur travail aura également pour but d’alerter les gouvernements sur les dangers encourus par les populations vivant aux abords des volcans. C’est par exemple grâce à leur travail de sensibilisation que le gouvernement philippin considère sérieusement l’éruption du Pinatubo en 1991.
Une fascination sans limite pour « les entrailles de la terre »
Katia est subjuguée par les volcans. Elle s’en amuse : « si l’on pouvait manger du basalte ou des roches volcaniques et les digérer, on resterait au sommet des volcans toute l’année ». Son émerveillement, elle l’explique avec ces mots : « une fois que vous avez vu une éruption, vous ne pouvez plus vous en passer parce que c’est tellement grandiose, tellement fort. » Et évidemment, on comprend. La Terre qui s’ouvre, le spectacle dantesque des coulées brûlantes et visqueuses, les tréfonds qui remontent, la solitude privilégiée… L’esthétique, l’imaginaire allégorique et la dangerosité des éruptions fascinent. On a retrouvé par exemple des représentations d’éruptions dans la grotte Chauvet datant de 36 000 avant JC [3]. On sait aussi que les volcans étaient considérés comme des entités sacrées dans la cosmogonie précolombienne, qu’en l’an 79, Pline l’ancien meurt lui aussi dans une éruption, celle du Vésuve qu’il souhaitait observer de près etc. Avec le sentiment profond, certainement, de « quelque chose qui dépasse l’entendement. » (Maurice Krafft). Katia ne disait pas autre chose : « c’est comme être dans les entrailles de la Terre. Et comparé à ces volcans géants, on n’est vraiment rien. » [4]
Aujourd’hui encore, l’activité secrète de la Terre continue d’impressionner chercheurs et néophytes. De nombreuses volcanologues actuelles se disent inspirées par l’avant-gardisme de Katia Krafft. C’est le cas de Rebecca Williams, volcanologue à l’Université de Hull en Angleterre et co-auteure d’une analyse sur la diversité au sein de la discipline [5]. Elle déplore toutefois les freins auxquels sont soumises les femmes : « on ne leur confie pas de conférences. On ne leur décerne pas de récompenses. » La renommée de Katia Krafft fait figure d’exception. La chimiste meurt à 49 ans, laissant derrière elle une vingtaine d’ouvrages, une montagne de vidéos et de photos d’éruptions et l’image indélébile d’une femme brillante, libre et furieusement passionnée.
©Margaux Klein
[1] : « Cette théorie fondamentale décrit la dynamique de la couche externe et fracturée de notre planète. Chaque plaque tectonique bouge sans cesse. Elles entrent en collision à certains endroits et s’éloignent à d’autres. Cela donne naissance à des volcans le long de leurs frontières. » Maya Wei-Haas, « Katia Krafft a changé le visage de la volcanologie au péril de sa vie », National Geographic, janvier 2023
[2] : « ‘L’histoire tragique de Katia et Maurice Krafft, deux scientifiques amoureux des volcans qui ont fini engloutis par la lave », Vitor Tavares, BBC News, mars 2023
[3] : « Des éruptions volcaniques représentées dans la grotte Chauvet », C.R., Hominidés, janvier 2016
[4] : John Calderazzo “Fire in the Earth, Fire in the Soul: The Final Moments of Maurice and Katia Krafft.” Interdisciplinary Studies in Literature and Environment 4, no. 2 (1997) pp. 71–77
[5] : Kavanagh, J.L., Annen, C.J., Burchardt, S. et al. Volcanologists—who are we and where are we going?. Bull Volcanol 84, 53 (2022)
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