Camille Claudel, l’Art dans le sang


Vivante, je ne le savais peut-être pas encore, mais, en général, les êtres de mon genre — la plupart du moins, possèdent quelque chose d’unique, une révolte de la nature : le génie. 

Ma vie avait toujours été remplie d’histoires, bonnes ou mauvaises, heurs ou malheurs, joie ou tristesse. Cela n’était pas facile à vivre. Par moments, tout s’embrouillait dans ma tête. Les rêves, les envies, le doute, mais surtout la peur, peur de devoir tenir debout dans un monde si masculin, si sournois. Malgré cela, je croyais en moi et le temps m’avait donné raison : le meilleur service que l’on puisse s’offrir à soi-même c’est de croire à son destin.

Moi, Camille Claudel, je brûlais de devenir sculptrice. C’était ma passion, pour ne pas dire mon plus grand rêve. Oui, on a tous besoin d’un rêve pour se sentir vivant, on a tous besoin de croire à quelque chose pour se sentir utile. Alors je n’étais pas prête à renoncer à mes convictions, peu importait le temps que cela aurait pris. Le temps, c’est un peu l’espoir. 

Mais, parce que rien n’est jamais acquis, tout ne s’était pas passé comme je le prévoyais. Il y a toujours un vent qui fait basculer le vase. Et dans mon cas, ce vent n’était rien d’autre que le destin. 

Tout était parti si vite…

J’étais l’élève, la collaboratrice, l’assistante et à la fois la maîtresse de Paul Rodin, cet homme pour qui j’avais une admiration sans pareille. Son talent me fascinait, tout en lui me fascinait. Son élégance, son éloquence, sa prudence. Une nuit, tandis que nous regardions les étoiles, il m’avait dit : « Crois en toi, tu es une femme exceptionnelle, unique. »

À ses côtés, je pouvais, sans la moindre embûche, me focaliser sur ce que j’aspirais le plus au monde : la sculpture. C’était un rêve, qui allait devenir réalité. En tout, j’avais réalisé, après un travail acharné et surtout poussé par mon maître, soixante-sept sculptures dans ma carrière. Dit ainsi, je réalise enfin, comme j’ai dû en baver, traverser l’Atlantique, gravir des collines brûlantes pour en arriver là. Le chemin a été long et parsemé d’obstacles. Personne ne m’attendait. Personne, sauf Paul.

Pendant une dizaine d’années, nous avons été intimement liés. C’était comme une évidence, l’impression d’avoir été faits pour vivre ensemble, à croire que le destin nous avait alignés sur une même trajectoire, pour que rien ne nous sépare. L’un près de l’autre, nous avons partagé une inspiration commune, à tel point qu’il était difficile de déterminer qui de nous deux était l’auteur de certaines œuvres. 

En 1898, décidée à voler de mes propres ailes, j’ai quitté Rodin. Il ne m’inspirait plus. J’avais besoin de souffle mais je n’étais pas vraiment prête. Il faut croire que le succès est assez intimidant. Mais sans lui, j’avais du mal à tenir debout, je sombrais, je perdais mes moyens. N’étant que femme, il m’était difficile d’obtenir une place dans le milieu artistique. Seule, je réalisais à quel point ce monde pouvait être nocif. Toute notre vie peut changer à tout moment, aujourd’hui un rêve et demain un cauchemar. 

Voilà, j’en étais là, j’étais à bout. Mon fidèle ami me manquait. Et je me sentais si détruite. Plus la souffrance augmentait, plus je pensais qu’il s’était peut-être servi de moi, bien que je fusse partie toute seule. De cette rupture émanait une paranoïa dirigée contre mon ancien amant, que je ne n’hésitais pas à accuser  de mon échec. En réalité, je ne savais plus qui j’étais. Mes œuvres ne me plaisaient plus. Rien ne me plaisait plus d’ailleurs. Tout le monde m’avait tourné le dos. Et sans m’en rendre compte, je devenais folle. Les médias ne parlaient plus de moi. La solitude, le vide, le manque, les questionnements m’avaient livrée, emportée dans une dimension inaccessible. Comment rebondir après un tel trouble? Comment remonter la pente

Parce que le destin ne jouait pas en ma faveur, je me suis retrouvée à l’asile, où j’ai passé les trente dernières années de ma vie. Mais je ne suis pas vraiment morte, je vis encore, je vis à travers mes œuvres. L’artiste ne meurt jamais.

©️John Elongo M

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