Louise Labé ou l’Ardeur du Rhône !


Louise Labé, née vers 1524 à Lyon et morte en 1566 à Parcieux-en-Dombes, est une figure inoubliable de la Renaissance française. Inoubliable ou, plutôt, que nous ne devons pas oublier. Son œuvre, quoique brève, est singulière et puissante.

Surnommée « la Belle Cordière », en raison du métier de son père, puis de son mari, elle cultiva toute sa vie sa passion pour les lettres, l’équitation ou encore l’escrime. Fortement marquée par Homère et Ovide, elle contribua à faire redécouvrir la poétesse grecque antique, Sapho, qu’elle évoque dans son Débat de Folie et d’Amour (qui inspirera Jean de La Fontaine pour sa fable L’Amour et la Folie). Sa culture est également marquée par Érasme et son Éloge de la folie, mais aussi Pétrarque et ses sonnets pour Laure.

Avec Maurice Scève et Pernette du Guillet, Louise Labé appartient à ce que l’on nomme l’École lyonnaise, se déployant au XVIe siècle au cœur d’une ville renommée alors pour ses salons, ses écoles et ses imprimeurs. À travers ses écrits, Louise Labé se concentre sur l’expérience féminine de l’amour, et va réhabiliter des figures de femmes émancipées, comme la reine guerrière Sémiramis.

Son Épître dédicatoire à Clémence de Bourges dresse un tableau contrasté entre les ténèbres du passé et les lumières du présent et de l’avenir. La poétesse est confiante en l’avenir. Elle encourage les femmes à se mettre à l’étude et à composer des ouvrages littéraires. Dans un effort d’affranchissement absolu, Louise Labé refuse les attributs traditionnels de la femme-objet : ce qui compte pour elle, ce ne sont pas les parures pour le regard de l’homme, mais la participation à une culture nouvelle basée sur la collaboration entre les sexes, fondée sur l’émulation et le respect. Elle prie les « vertueuses dames » (c’est-à-dire ses contemporaines qui ont la force de caractère, du latin « virtus ») « d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux». En agissant ainsi, elle fait remarquer que les femmes : « auront surtout œuvré pour le bien public ; car les hommes redoubleront d’efforts pour se cultiver, de peur de se voir honteusement distancier par celles auxquelles ils se sont toujours crus supérieurs quasi en tout. »

Dans le Débat de Folie et d’Amour, Louise Labé porte le regard amusé d’une femme d’esprit qui a l’impertinence de faire parler les dieux pour railler les hommes, sans jamais négliger un instant la vérité des caractères. Dans ce conte mythologique, Jupiter lui-même ironise sur les dieux de l’Olympe qui ne sont pas meilleurs que les mortels, et Cupidon imagine les conséquences tragiques de sa cécité. Mais ce conte est également un « document social ». À la revendication de l’accès à la culture pour les femmes — si vigoureusement formulée dans l’épître dédicatoire — s’ajoute dans le Débat l’espoir que cette culture aura un effet civilisateur sur les hommes : Apollon déplore la brutalité et la grossièreté de cette société masculine qui ne sait parler qu’un « rustique et barbare langage ». Il y a là un désir émouvant de raffiner, d’éduquer les instincts masculins.

Louise Labé est une poétesse profondément amoureuse. Elle chante l’amour et ses tourments, la déraison d’aimer et la raison d’en parler. Certains vers nous touchent en plein cœur, sublimes par leur grâce et leur simplicité, dans l’équilibre de leur composition : « Tu es tout seul, tout mon mal et mon bien : Avec toy tout, et sans toy je n’ay rien ». Comme un doux murmure, chuchoté à l’oreille des « Dames Lionnoizes » et de toutes celles et ceux qui prêteront une oreille attentive à la musicalité et à la profondeur de ses textes, Louise Labé chante avec toute l’ardeur du Rhône ! Tel ce fleuve qui fut le témoin de ses amours, elle charrie les passions et nous y plonge avec toute la force de son âme. « O dous regars, o yeus pleins de beauté… »

Son chaos intérieur éclate dans ses sonnets. Son nom, Labé, est si proche des lèvres latines, « labia », qu’on se plait à penser que le baiser est la destinée évidente de sa poésie. Baisers de l’ivresse, serments d’un peu plus près… Poème prémisse aux étreintes… comme si sa bouche venait fermer le livre, et nous laissait dans l’attente du refrain, frémissant des lèvres à venir : « Baise m’encor, rebaise moy et baise : Donne m’en un de tes plus savoureux, Donne m’en un de tes plus amoureux : Je t’en rendray quatre plus chaus que braise…. Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise… »

Au milieu du XVIe siècle, la poétesse sera la cible d’attaques calomnieuses, en raison même de sa liberté d’esprit. Certains universitaires, notamment Mireille Huchon, affirment que le personnage de Louise Labé ne serait qu’une fiction élaborée par un groupe de poètes autour de Maurice Scève. Mais ce corpus, s’il s’y trouve quelques poèmes apocryphes, nous éblouit par sa force et sa noblesse, sa vigueur et son propos toujours d’actualité. « Et d’un dous mal douce fin esperer ». Louise Labé n’est pas simplement une belle dame « Lionnoize », elle est une grande dame française.

© Guillaume Dreidemie

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