« Et je résolus ardemment d’être quelqu’un : quand même ! » :  Sarah Bernhardt, la Femme Libre 


Si Sarah Bernhardt est connue par son surnom « la divine », c’est avant tout parce qu’elle est libre. Elle n’en fait qu’à sa tête et elle excelle dans tout ce qu’elle entreprend. Artiste, peintre, sculptrice, comédienne : Sarah Bernhardt est partout.
En 1853, alors âgée de 9 ans, elle est mise au couvent après avoir vécu comme un chenapan à l’école. Elle hésite, après tout pourquoi ne pas devenir sœur ? Mais rien à faire, Sarah n’aime pas l’autorité. Elle grandit dans un monde demi-mondain, sa mère et sa tante sont des femmes entretenues. L’amant de sa mère, le duc de Morny, lui sauve son existence lorsqu’elle a 15 ans. Il faut qu’elle aille au théâtre.

La première pièce qu’elle voit n’est autre que Britannicus, ce sera pour elle une  révélation : sa vie sera théâtre ou ne sera pas. Elle entre alors au conservatoire puis signera un contrat avec la Comédie Française qui lui attribuera d’abord des rôles très classiques dans des pièces comme Iphigénie ou Les Femmes savantes.

Mais l’impulsivité de Sarah reprendra le dessus lorsqu’elle se rend, avec sa petite sœur Regina, à la soirée en hommage à Molière.  Dans l’excitation, Regina ne remarque pas qu’elle marche sur la traîne de Mademoiselle Nathalie, honorable sociétaire. Celle-ci repousse brutalement l’enfant et Sarah craque : elle la  gifle en la traitant de « méchante bête ». Sarah doit s’excuser, elle refuse ; elle est donc renvoyée de la maison de Molière. C’est ainsi que débute sa vie d’errance théâtrale. Elle fait la rencontre d’Alexandre Dumas (fils) qui lui confie une pièce faite sur mesure : La Dame  aux Camélias.  

Le XIXe siècle est le siècle de la fiction théâtrale, il n’y a pas la radio, pas de cinéma  pour entendre les paroles des auteurs français : Sarah l’a bien compris. Elle déclame les alexandrins, susurrent les mots d’amour comme si c’étaient les derniers. Après le succès de La  Dame aux Camélias, Sarah joue pour Victor Hugo dans Hernani en incarnant Doña Sol. Elle est plusieurs femmes à la fois sans jamais entrer dans ces rôles . Mais, au début des années 1860, Sarah n’a que vingt ans, elle ne sait pas ce qui l’attend, elle veut juste devenir une grande actrice.

En 1864, Sarah met au monde Maurice, un fils dont l’identité du père sera toujours cachée pour protéger sa réputation : Victor Hugo, Gambetta ou le maréchal  Boulanger ?
Personne ne connaît Sarah ?

Après avoir joué dans la pièce de François Coppée, Le Passant, au théâtre de l’Odéon, elle impose le jeune fougueux à la direction de celui-ci. L’Odéon n’y croit pas une seconde et pourtant, ce sera un immense succès. Dans la pièce, elle joue le rôle de Zanetto, un troubadour. Elle se plaît à se travestir et ne s’arrêtera pas à ce seul rôle : Hamlet l’attend.

Dans sa vie privée, elle collectionne les amants et les amantes. Elle tombe aussi amoureuse et ce sentiment s’exprime chez elle comme un sentiment romanesque : tout est emportement et passion. Sarah est trop libre pour n’être la femme que d’un seul homme. 

Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, Sarah transforme sa loge en hôpital. Elle fait disposer des lits, elle accueille les blessés prussiens comme français par dégoût de la guerre. Le retour de Victor Hugo après son exil affecte la vie de Sarah. Elle ne lui court pas après comme tous les autres mais lui, il a entendu parler d’elle. Il lui fait passer la lecture de  Ruy Blas, elle décroche le rôle de la reine d’Espagne. Après la première de février, Sarah devient « La comédienne ». Son sacre de reine d’Espagne lui ouvre toutes les portes : l’Odéon  lui offre un contrat qu’elle ne peut refuser. Elle entre à nouveau à la Comédie Française et rêve de jouer Phèdre. Elle sait que ce rôle est l’un des plus complexes de tout le répertoire.  

Elle excelle et suscite la jalousie d’un grand nombre. On sait qu’elle aime répéter et se reposer dans son cercueil en bois d’acajou – on dit qu’elle est folle. Elle, elle s’en moque et demande à Nadar de l’immortaliser gisante sur les cartes postales.  

En janvier 1875, elle est nommée sociétaire de la Comédie Française, que cela plaise ou non. Elle quitte la Comédie Française le 18 avril 1880 avec le fiasco de la première de L’Étrangère. Trois jours plus tard, elle quitte Paris. Elle embarque sur un transatlantique avec Edward Jarrett. Le 5 mai 1880, elle rentre à Paris en icône.  

Il n’y a pas que le théâtre pour elle, depuis ses quinze ans, Sarah prend des cours de dessin. C’est une véritable passion nouvelle, au point de prendre des cours d’anatomie et de modelage pour être la plus juste possible. Mais viendra sa préférence pour la matière, c’est une sculptrice talentueuse et l’on se bouscule pour la voir en œuvre dans son atelier. Les  peintres Georges Clairin ou Louise Abbéma lui demandent leur buste. Sa pièce la plus spectaculaire « Après la tempête » apparaît au salon de 1876. 

« On sait ce que je puis, on verra ce que j’ose. »

Elle est encore moquée, elle doit choisir entre peinture et comédie. Elle refuse et Zola prend sa défense. Elle lui rendra la pareille lors de l’Affaire Dreyfus alors qu’elle est elle même victime d’antisémitisme, étant juive par sa mère. Elle est patriote malgré tout et s’engage dans des combats qui lui semblent légitimes, elle suit son instinct avant tout. En 1914,  elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur pour avoir défendu les couleurs de la France à l’étranger. Une grande première pour une actrice. Elle n’a pas le temps de se réjouir,  il semblerait qu’elle figure sur les listes d’otages privilégiés par les Allemands. Elle quitte Paris pour Arcachon. Elle y prend une grande décision en février 1915 : l’amputation de sa  jambe droite qui la fait terriblement souffrir depuis des années. Elle refuse les prothèses ou jambe de bois : elle veut se déplacer comme une impératrice byzantine sur une chaise-porteur à l’âge révolu de soixante-dix ans. Elle rejoint, dans les tranchées, les poilus pour leur  remonter le moral. En 1916, elle profite de sa dernière tournée américaine pour pousser le  gouvernement états-unien à entrer en guerre.  

« Ah ! l’injustice de la guerre ! l’infamie de la guerre ! Il ne viendra donc pas, le  moment rêvé où il n’y aura plus de guerres possibles ! Où un monarque qui voudrait la  guerre serait détrôné et emprisonné comme un malfaiteur ? Il ne viendra donc pas le  moment où il y aura un cénacle cosmopolite où le sage de chaque pays représentera sa  nation et où les droits de l’humanité seront discutés et respectés ? »

Le 26 mars 1923, elle succombe sur le tournage du film adapté pour elle par Sacha Guitry : « La voyante ». Son enterrement est sa dernière mise en scène : fleurs, cercueil,  calèche – elle avait tout prévu. Elle lance un dernier défi à la postérité dans ses mémoires, Ma Double Vie, écrites en 1907 :

« Vous ne me connaîtrez pas telle que j’ai été. »

© Sarah Bauerlé

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