Hubertine Auclert : Première suffragette et féministe française


Marie Anne Hubertine Auclert, de son vrai nom, naît le 10 avril 1848 à Saint-Priest-en Murat, dans l’Allier. Cinquième née d’une fratrie de sept enfants, elle est la fille d’un riche  fermier républicain, Jean-Baptiste Auclert et de sa femme, Marie Chanudet. L’avènement de la  Deuxième République en 1848, permet à Jean-Baptiste d’être nommé maire. Mais il est  destitué, trois ans après, par le coup d’État du futur Napoléon III. Dès lors et jusqu’en 1861,  année de sa mort, il est connu pour être un farouche opposant du Second Empire. La jeune  Hubertine perd son père à l’âge de treize ans. En revanche, si Hubertine n’a plus de modèle de  révolte, sa mère lui fournira cependant un autre exemple de révolte contre l’autorité établie. En  effet, elle est engagée dans la défense des « filles-mères ». Marie Chanudet consacre ainsi sa  vie à venir en aide aux jeunes mères hors mariage en les insérant dans la société par le travail, source d’indépendance financière. 

Hubertine est néanmoins placée dans une pension de religieuses dès ses neuf ans, où  elle suit toute sa scolarité, sa mère souhaitant la voir devenir nonne. Très croyante, elle souhaite  elle-même devenir religieuse chez les Filles de la charité de Saint-Vincent-de-Paul mais, jugée  trop « mystique » par les membres de la congrégation, elle n’y est pas acceptée. Elle quitte le  couvent en 1864, à l’âge de seize ans, et rejoint sa mère au domicile de son oncle. Deux ans  plus tard, celle-ci décède ; le frère d’Hubertine la place alors dans un couvent à Montluçon,  duquel elle est pour la seconde fois rejetée en 1869, jugée cette fois-ci trop indépendante par  les religieuses, ce qui fait naître en elle un sentiment anticlérical qui la suivra toute sa vie. 

Ayant hérité du patrimoine de ses parents, elle est, à l’âge de dix-neuf ans, désormais  libre et matériellement indépendante. Inspirée par les écrits de Victor Hugo et les discours de  Léon Richer, journaliste libre-penseur considéré par Simone de Beauvoir comme le véritable  fondateur du féminisme, elle milite pour le républicanisme et la défense des droits des femmes. 

Elle est particulièrement mobilisée pour la révision des lois du Code Napoléon, qui considère  la femme mariée comme une éternelle mineure devant soumission et obéissance à son mari. Hubertine Auclert quitte son Bourbonnais natal pour Paris en 1873. Elle rejoint  l’Association pour le droit des femmes, créée en 1870 par les époux Léon Richer et Maria  Deraismes, et exige des changements radicaux dans les lois patriarcales entérinées par l’ex empereur. Hubertine quitte l’association en 1878, s’opposant frontalement à Richer qui lui  refuse une tribune au Congrès international pour le droit des femmes ayant lieu la même année, et dont l’action porte principalement sur le régime civil des femmes, sans soutenir le suffrage  féminin. 

La jeune femme, ayant fondé Le Droit des femmes en 1876, souhaite pousser encore  davantage les actions du mouvement féministe français. Elle réclame le droit de voter et de se  présenter aux élections pour les femmes. Elle estime également que sans cet accès aux urnes et  à la représentation nationale ou locale, la condition civile des femmes reste conditionnée au bon  vouloir des hommes. Elle fait alors paraître plusieurs articles dans des journaux dont l’Avenir  des femmes de Maria Deraismes, avec l’appui de Victor Hugo. Autre fait marquant pour  l’époque, Hubertine devient membre exécutive du Comité central socialiste de secours aux  amnistiés et aux non-amnistiés de la Commune. Se tournant vers le mouvement socialiste, elle lance un appel aux femmes françaises au printemps 1877 :  

« Femmes de France, nous aussi nous avons des droits à revendiquer : il est temps de sortir  de l’indifférence et de l’inertie pour réclamer contre les préjugés et les lois qui nous  humilient. Unissons nos efforts, associons-nous ; l’exemple des prolétaires nous sollicite ;  sachons nous émanciper comme eux ! ».

Ensuite, elle participe au troisième Congrès socialiste ouvrier d’octobre 1879 et rédige  un rapport où elle écrit qu’« une République qui maintiendra les femmes dans une condition  d’infériorité ne pourra pas faire les hommes égaux », citation qui ne rencontre alors que peu  d’écho dans le mouvement socialiste. De plus en plus radicale, elle entame une grève de  l’impôt en 1880. N’ayant rien perdu de son appétence pour l’écriture et le journalisme, elle  lance le 13 février 1881 le journal La Citoyenne, recevant le soutien de l’élite féministe naissante, telles l’écrivaine et journaliste Séverine et la diariste, peintre et sculptrice Marie  Bashkirtseff, qui y rédige plusieurs articles.  

Les idées d’Hubertine Auclert se radicalisent encore : elle dénonce par exemple la loi  sur le divorce, demande la reconnaissance du travail domestique, ou réclame la féminisation  des noms de fonctions, presque, considérant que l’omission du féminin par le dictionnaire contribue à l’omission du féminin dans la loi. Sa sensibilité à la langue et aux mots est par  ailleurs à l’origine de nombreuses de ses revendications, les femmes étant dans la loi tantôt  inclues, tantôt exclues de l’expression « Tout Français ». 

Elle est l’une des premières féministes à s’intéresser à la question de la colonisation, étant en cela une des pionnières de l’intersectionnalité. Dénonçant le racisme des Français et  plus particulièrement des colons et fonctionnaires à l’égard des Arabes, elle met en avant l’idée que les femmes musulmanes subissent un double patriarcat : celui, millénaire, des mœurs  islamiques, et celui apporté par la colonisation française, aggravante de la condition des femmes  algériennes. Elle soutient néanmoins les politiques d’assimilation, estimant que la période  préislamique permettait davantage d’indépendance aux femmes. En 1892, de retour en France,  elle continue à écrire des textes militants en faveur des femmes arabes et présente plusieurs  pétitions visant à leur émancipation. 

En 1894, elle collabore au journal La Libre Parole d’Édouard Drumont. Deux ans après et jusqu’en 1909, elle écrit près de 413 articles pour le journal républicain Le Radical, dans la rubrique « Le féminisme ». N’ayant jamais abandonné son combat pour le suffrage féminin,  elle cofonde en 1900 le Conseil national des femmes françaises, organisation pour les groupes  féministes français. Alors qu’elle a soixante ans en 1908, elle brise symboliquement une urne  lors des élections municipales de Paris. Le 24 avril 1910, elle candidate aux élections  législatives aux côtés d’autres militantes, dont Marguerite Durand, malgré l’impossibilité légale  de ces candidatures, évidemment rejetées.  

Elle décède le 8 avril 1914 à Paris. Aujourd’hui considérée comme une figure centrale  dans l’histoire de la lutte des droits des femmes françaises, Hubertine Auclert est, par ailleurs,  la première militante française à se revendiquer « féministe » en 1882, terme originellement  utilisé par Charles Fourier pour désigner des hommes « efféminés » ou par Alexandre Dumas  (fils) pour désigner péjorativement les hommes défendant publiquement les droits des femmes.  En 1889, elle lance un appel à la célébration d’un « 89 féminin » visant à mettre en lumière le  rôle capital des femmes dans les révolutions de 1789 et 1848. Suffragette française originelle,  elle se sera battue toute sa vie sans relâche pour permettre aux femmes d’accéder à l’égalité de  droit. Le Centre Hubertine Auclert se réclame aujourd’hui de son héritage et œuvre en Île-de France pour la lutte contre les inégalités et les discriminations fondées sur le sexe et le genre.

© Hélène Christodoulou Gosso

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