Louise Weiss, un esprit européen


« Mesdames et Messieurs les élus d’Europe, les étoiles du destin et les chemins de l’écriture  m’ont mené à cette tribune pour y vivre. Présidente d’un jour, un honneur dont je n’aurais pas osé rêver  et une joie – la joie la plus forte que puisse éprouver une créature au soir de son existence – la joie d’une  vocation de jeunesse miraculeusement accomplie » a déclaré Louise Weiss au soir du 17 juillet 1979  dans l’hémicycle du Conseil de l’Europe. Ce discours, dans l’élégance littéraire et argumentaire qui la caractérise tant, n’en demeure pas moins l’oraison ultime. Tel l’aboutissement d’une vie, d’une existence  marquée par la pluralité de ses combats pacifistes, son discours s’évanouira parmi les reliques de  l’Histoire alors qu’il s’efforce d’être lu et apprécié comme des Mémoires.  

Malgré le poids de l’âge qu’elle ne laisse pourtant pas paraître, debout à la tribune et d’une voix que nos  contemporains caractérisent de « haut-perchée », elle conte les débuts européens au lendemain de la  Grande Guerre. Journaliste tout juste assumée en raison de son genre, elle devint la rédactrice en chef  de L’Europe Nouvelle. En trompe œil, c’est de la construction séculaire de l’Europe dont elle tint le récit  devant un auditoire quasi masculin.  

Plus de quarante ans après sa disparition, allons à la rencontre de cette intrépide journaliste à l’esprit  européen parfois en proie à l’adversité, mais profondément indépendant. 

Louise Weiss naquit à Arras en 1893, mais grandit à Paris. Agrégée de Lettres en 1914 – alors  qu’elle n’avait que vingt-et-un an – elle commence à écrire ses premiers articles en 1915 dans le Radical,  puis Le Petit Parisien. En janvier 1918, tandis que la guerre bat encore son plein, paraît le premier  numéro de L’Europe Nouvelle. Sous couvert des milliers de feuillets qu’enfanta cet hebdomadaire durant  plus de six années consécutives, elle est allée à la rencontre d’une jeunesse lésée par l’horreur de la  Grande Guerre, d’une jeunesse pacifiste plus ouverte à l’étranger. Louise Weiss fut une femme qui savait  s’entourer des plus éminentes personnalités de son temps. Parmi elles, celle d’Aristide Briand, qui s’est  très vite révélé être un allié et un fidèle compagnon d’écriture à L’Europe Nouvelle. Véritable caisse de résonance aux travaux de la Société Des Nations (SDN), le journal – dont elle avait pris la direction  après quelques affrontements avec son fondateur – reposait sur des valeurs de collaboration et de  rapprochement des peuples. Tel un lieu de cristallisation des idéaux partagés par d’éminentes  personnalités, l’hebdomadaire devait participer à l’élaboration d’une « véritable science de la paix » en  offrant à une jeunesse éprise d’un sentiment de concorde une information de qualité, démunie de  concepts superficiels ; une tribune d’où émergeait l’ambition collective. Ainsi, elle a donné à son journal  réservé aux élites diplomatiques, un rôle d’éducateur politique contribuant à l’émergence d’un nouvel  ordre social international. 

Grande communicante et, à coup de happening, elle s’est illustrée durant l’entre-deux-guerres lors de manifestations pour l’obtention du droit de vote. Après l’échec de son entreprise journalistique  dans les années 1930, elle embrassa la cause des femmes en fondant La Femme Nouvelle. À travers  cette association, elle s’est imposée comme une leader de la lutte pour l’obtention du droit de vote des femmes et pour qu’elles soient éligibles. Sur le sujet, elle est l’héritière de plus d’un siècle de  militantisme. De la Révolution française au lendemain de la Première Guerre Mondiale, les exemples  sont nombreux. Pour preuve, invoquons Olympe De Gouge (1748-1793) qui déclara dans une société  bercée par un idéalisme exacerbé de liberté : « La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit  avoir le droit de monter à la tribune ». Auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), pendant féminin de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), elle réclame, dans  ce texte qui a traversé les siècles, que les femmes de France puissent aussi être représentées dans une  Assemblée nationale et qu’elles puissent, à l’instar des hommes, participer à la rédaction des lois de la  République qui se dessine. Arrêtée, elle fut exécutée quelques jours avant Manon Roland qui scanda  avant d’être décapitée « Ô liberté, que de crimes on commet en ton nom ! ». Sous la IIe République,  c’est la personnalité de Jeanne Deroin (1805-1894) qui incarne la revendication des droits politiques. 

Les figures de Cécile Brunschvicg, Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore, les « femmes ministres »  nommées au premier gouvernement Blum (juin 1936), sont contemporaines de Louise Weiss. À travers  le combat pour que les « femmes soient électrices et éligibles dans les mêmes conditions de l’homme »,  c’est celui pour la paix qui se joue. Si les femmes votent, elles s’opposeront aux lois martiales envoyant  leurs fils mourir à la guerre.  

Bien qu’il fallût attendre avril 1945 pour que les femmes françaises glissent un premier bulletin de vote  dans l’urne, ensemble, ces militantes ont su inspirer celles et ceux qui leur ont succédé dans cette lutte  au profit d’une égalité de genre. 

Louise Weiss a fait de la paix la colonne vertébrale de ses combats. La construction d’une  « Union des peuples » a été la pierre angulaire de son existence.  

Ce 17 juillet 1979, c’est à la passation du témoin entre deux femmes d’exception que les autres  parlementaires assistent. Aux côtés de Simone Veil, fervente avocate de la construction européenne,  Louise Weiss – doyenne du Parlement européen – est bien présente sous ses allures d’animal politique. Elle est élue eurodéputée sur la liste RPR. Considérant ses convictions européennes et son combat  féministe relativement éloignés de la ligne du parti présidé par Jacques Chirac, son adhésion va à  l’encontre de son esprit européen. L’envie de demeurer une actrice de la construction européenne « coûte  que coûte » a été plus fort que la logique partisane.  

Le 25 mai 1983, la voici au « terme de la fresque de sa vie qu’elle s’est appliquée à peindre ». Elle tire  sa révérence à quatre-vingt-dix ans et presque autant d’ardents combats pour la liberté, la paix et la  démocratie en Europe. Comme elle le disait si bien, la mort seule met fin aux possibilités. 

©Eulalie Giraud

Correctrice : Isabelle Bénard

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