Maîtresse du Roi Soleil alors qu’il est au zénith de son règne, Athénaïs de Montespan (1640- 1707) est introduite à la Cour par Marie-Thérèse d’Autriche, avant de s’y installer grâce à la favorite d’alors. Ironiquement, si sa grande beauté et sa répartie légendaire en font une personnalité au charme unique, sa légèreté apparente l’empêche d’attiser la jalousie de ses rivales. Aussi parvient-elle, en un temps record, à évincer la douce Louise de la Vallière du lit du roi et la reine de son rôle d’apparat pour s’imposer, avant Madame de Maintenon, comme le grand amour de Louis XIV.
L’avant-vie
Quasi contemporaine de son illustre amant, Françoise de Rochechouart de Mortemart est née le 5 octobre 1640 à Lussac-les-châteaux dans le Poitou. Elle est la fille de Diane de Grandsaigne, dame d’honneur de la reine Anne d’Autriche et de Gabriel de Rochechouart de Mortemart, descendant de l’une des plus anciennes familles du Poitou. De ses origines, la future favorite ne cessera d’en jouer, notamment pour taquiner le roi en lui rappelant que sa lignée est plus ancienne que la sienne ou encore pour rabaisser les courtisans avides. Contrairement à son frère aîné, Louis-Victor de Rochechouart, plus connu dans les années 1660 sous le titre de duc de Vivonne, qui est fait enfant d’honneur à la Cour, la petite fille reçoit une éducation religieuse stricte à l’abbaye aux Dames de Saintes. Au-delà d’y apprendre les langues anciennes et la catéchèse, on lui enseigne les rudiments de la vie mondaine auxquels doit être sensibilisée une enfant de son rang. À dix-huit ans, Athénaïs, comme elle se surnomme en référence à la déesse Athéna, quitte l’abbaye pour être placée comme dame d’honneur auprès d’Henriette d’Angleterre, la jeune épouse de Monsieur.
À la cour du frère du roi règne une atmosphère orgiaque et perverse. Les courtisanes les plus influentes refusent de voir leurs enfants rejoindre cette maison pourtant prestigieuse tant on y raconte les sévices commis sur enfants d’honneurs et autres protégés. Jeune épousée, Henriette d’Angleterre est réputée pour son charme et sa joie de vivre. Même si son mari préfère ouvertement la gent masculine, plus particulièrement le duc de Lorraine qui devient rapidement son favori, elle se console grâce à l’amitié amoureuse qu’elle entretient auprès de son beau-frère, Louis XIV.
Athénaïs est rapidement remarquée pour sa grande beauté et devient un parti fort convoité. La jeune femme, lasse des émanations particulières que dégage la maison qu’elle sert, n’a, très vite, plus qu’un seul dessein : trouver un mari de haut-rang pour tenir ses propres salons. Ses espérances sont comblées à l’aube de ses vingt-quatre ans quand elle se marie avec Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan. Le couple s’installe dans le Marais où ils côtoient Françoise Scarron, qui deviendra sa rivale sous le nom de Madame de Maintenon, Ninon de Lenclos ou encore Madame de Sévigné. La jeune femme, bientôt mère de deux enfants, séduit le Tout-Paris par son esprit aiguisé et sa grande beauté, ne sachant pas encore qu’elle n’en est, comme dirait François Mauriac, qu’à son « avant-vie. »
Premiers pas à Versailles
Si les débuts de son mariage sont marqués par l’allégresse et les mondanités, les dettes de jeux de son hédoniste de mari ne tardent pas à ramener la réalité au sein du couple. Ruinés, ils sont contraints de quitter leur hôtel particulier pour un appartement plus modeste, rue Taranne. Athénaïs, souffrante de ce déclassement, se rend pour la première fois chez Dame Voisin, une empoisonneuse qui prétend également prédire l’avenir. Pour l’heure, la jeune femme cherche seulement à savoir quand prendront fin ses difficultés auprès d’une enchanteresse qui rencontre un vif succès dans le Monde. La veuve Scarron, également en proie à de lourdes difficultés, lui reste fidèle. L’infortune aidant, cette période consolide même leur amitié.
Grâce au concours de sa mère et de sa tante qu’Athénaïs obtient la charge très enviée de dame d’honneur de la reine. Elle décide alors de briller seule en société, n’éprouvant plus que de l’aversion pour son époux. La jeune femme ne se plaît qu’à susciter la jalousie de ses compagnes tout en titillant le désir des hommes qui l’entourent. Sa grande beauté en fait une personne enviée qui, en dépit de ses déconvenues, ne cesse de faire parler d’elle de Versailles à Saint-Germain-en-Laye.
Lors de son couronnement, Louis XIV est encore amoureux de Louise de la Vallière, sa discrète favorite. Nous sommes en 1666 et, peu à peu, le jeune roi prend de l’assurance. Sa maîtresse étant une femme de l’ombre, timide et effacée, elle perd doucement l’intérêt du souverain. Ses grossesses successives ont considérablement dégradé sa santé. Le roi finit alors par tomber sous le charme d’Athénaïs. Celui-ci est souvent amené à la croiser puisqu’elle est non seulement la dame d’honneur de son épouse mais encore l’amie et confidente de Louise.
Amour, gloire et beauté
C’est sous le sceau du secret que se scellent les amours de Louis XIV et de sa nouvelle amante. En effet, Athénaïs étant mariée et le roi ayant déjà adoubé Louise de la Vallière, l’officialisation de la liaison s’annonce fort compliquée. « L’esprit Mortemart » de la jeune femme a sûrement contribué à l’attachement du souverain puisque c’est avec sa répartie légendaire qu’elle sait le captiver. Contrairement à ses rivales, la marquise de Montespan ne place pas son amant sur un piédestal. C’est en homme ordinaire qu’elle le traite, n’hésitant pas à le tourner en dérision sous prétexte que la Maison Bourbon est postérieure à celle des Mortemart. Pour l’amuser, la jeune femme se moque des courtisans, se montrant parfois méchante au point d’être détestée par une bonne partie d’entre eux, que le roi congédie aux moindres reproches. Lorsque la liaison s’intensifie, le roi a l’idée d’utiliser son ancienne maîtresse comme un paravent. Apprenant l’adultère commis par son épouse, le marquis de Montespan est un homme qui n’a plus rien à perdre. Il assume volontiers le rôle du cocu, ce qui déplaît au roi. Le marquis ira jusqu’à violer son épouse dans son sommeil afin de transmettre une maladie vénérienne au couple d’amants. Louis XIV ordonne son exil avant qu’il ne revendique un quelconque lien de parenté avec l’enfant que porte Athénaïs. Le « Grand divertissement royal » du 18 juillet 1668 confirme leur relation au grand public lorsque le roi rend hommage à sa maîtresse tandis que la fête avait pour occasion de célébrer le traité d’Aix-la Chapelle. Le roi fait installer Athénaïs dans des appartements proches du sien afin de pouvoir la rejoindre durant la nuit. La marquise de Montespan, férue d’art et de spectacle, devient une mécène de choix, encourageant le travail de Molière, de Jean de la Fontaine et de Racine. N’hésitant pas à leur commander des pièces, elle donne un élan sans précédent à leur carrière.
Jalouse et possessive, Athénaïs voit d’un mauvais œil toutes ces femmes qui minaudent autour de son royal amant. Même après l’officialisation de leur couple en 1668, elle ne parvient pas à se détacher de ses craintes, chose qui l’amènera à visiter de nouveau Dame Voisin. Accompagnée par sa femme de chambre, Mademoiselle des Œillets, la marquise de Montespan devient une fidèle cliente de ce marché occulte. Pour l’heure, elle ne commande à l’enchanteresse que des philtres d’amour à destination du roi ainsi que des pommades pour conserver sa beauté. Cela n’empêche que la jeune femme est particulièrement réceptive à ce marché noir qui gagne de plus en plus la cour. En effet, nombreux sont les courtisans à visiter secrètement Dame Voisin pour obtenir de meilleures charges en priant Satan.
En 1673, le roi décide de légitimer les enfants qu’il a eu avec Athénaïs. Il les reconnaît tout en excluant le nom de la mère des papiers officiels, son amante étant encore légalement mariée. Pour s’occuper des enfants, la marquise de Montespan impose son amie, la veuve Scarron, qui vient à peine de réintégrer la Cour après des années de difficultés. En reconnaissant ses enfants, le souverain donne à sa maîtresse l’ultime preuve de son amour. Cette période marque pourtant le début de la fin du règne de la marquise étant entendu que le roi n’apprécie pas son indifférence vis-à-vis de sa progéniture. La veuve Scarron, aimante et dévouée aux enfants, pleurant davantage qu’Athénaïs à la mort du plus jeune, touche Louis XIV en plein cœur.
En juin 1674, Athénaïs est officiellement séparée du marquis et Louise de la Vallière se retire au couvent après des années d’humiliation : elle est la favorite en titre par excellence. Forte de son nouveau statut, la jeune femme entreprend de supprimer ses rivales potentielles en abolissant le statut de dame d’honneur. Ses grossesses successives lui ayant fait prendre du poids et le roi étant amateur de minceur, la favorite écarte les dangers éventuels tout en se contraignant à un régime des plus stricts. Par ailleurs, pour pérenniser la faveur du roi en dépit de son embonpoint, elle s’adonne aux premiers rituels imposés par Dame Voisin. Ceux-ci, d’origines sataniques, se basent sur le sacrifice d’un nouveau-né lors d’une messe noire. La marquise est allongée nue sur un autel, recevant en son sein le sang du bébé lentement égorgé durant la cérémonie. Sous l’emprise de Dame Voisin, les messes noires se multiplient, allant même jusqu’à passer la porte du château de Versailles grâce à la complicité d’un gardien et de Mademoiselle des Œillets.
L’affaire des Poisons
Le roi se confie beaucoup sur la politique intérieure et extérieure, allant jusqu’à dévoiler à sa maîtresse de nombreux secrets d’État. La marquise de Montespan, connue pour sa superficialité de façade et ses bons mots, est considérée comme une sotte par les ministres, Colbert notamment. Bien des réunions se déroulent dans ses appartements, de nuit comme de jour, entre deux moments d’intimité avec le monarque. Lorsqu’elle sombre dans les pratiques occultes, elle est rapidement considérée comme une arme contre le royaume. Sachant l’influence qu’elle exerce sur Louis XIV, nombreux sont ceux à vouloir faire pencher la politique de la France par son intermédiaire. L’affaire Brinvilliers en est le parfait exemple puisqu’elle marque les prémices d’un mal qui gangrène désormais Versailles. En effet, on empoisonne à tout-va sous fond de pouvoir et de rivalité amoureuse. Même si l’on étouffe le caractère criminel de la mort de Henriette, on l’attribue à une conspiration entre son mari, Monsieur, et l’amant de ce dernier, le chevalier de Lorraine. Signe du destin, sur son lit de mort, celle qui a été l’amoureuse du monarque confie que la veuve Scarron ferait une parfaite compagne. Quelques années plus tard, à la suite du décès de la reine, le roi épousera, effectivement, en secondes noces la discrète Françoise alors Madame de Maintenon. Le premier lieutenant de police, Nicolas de la Reynie, en charge de nettoyer Paris de la délinquance ordinaire se voit confier de la refonte des « polices » et quelques dossiers suspects d’empoisonnements à la cour. En établissant un vaste réseau d’indicateurs aussi bien issus de la cour des miracles que de la noblesse, il entreprend avec son adjoint François Desgrez d’en découdre avec les morts attribuées au poison qui se multiplient depuis l’affaire Brinvilliers. Si les soupçons ne pèsent pas encore sur la très protégée marquise de Montespan, l’assassinat de Mademoiselle de Fontanges changera la donne.
En effet, depuis qu’Athénaïs a perdu sa beauté par une prise de poids importante, le roi s’autorise quelques aventures faisant d’elle la seconde. Après sa brève liaison avec mademoiselle des Œillets, le souverain a le coup de foudre pour une jeune courtisane de dix-sept ans, Angélique de Scorailles, future duchesse de Fontanges. Le roi organise des fêtes pour sa nouvelle protégée, lui offre des parures coûteuses, le tout sans s’inquiéter de blesser Athénaïs. L’atmosphère est si tendue entre les deux femmes que le roi entreprend de les visiter à tour de rôle pour apaiser les tensions. Pour se venger, la marquise de Montespan fait détruire les appartements de sa rivale par des ours tout en la vilipendant auprès des courtisans. Le roi, surpris par le manque de réaction de sa nouvelle protégée, en éprouve un sentiment de répulsion. Ayant toujours décrié le manque de caractère et le fatalisme, le comportement d’Angélique lui apparaît comme un véritable tue l’amour. La force de caractère d’Athénaïs reste en tête malgré son physique changé par les enfantements et l’âge.
L’arrivée d’une grossesse inopinée ne change rien aux desseins du roi, bien au contraire puisque Angélique tombe malade dès les premiers mois ; le roi exècre la maladie. Aléa de la vie ou empoisonnement réussi, Mademoiselle de Fontanges meurt en couches après plusieurs semaines passées dans un état de santé critique. Le contraste avec la vitalité de cette dernière lors de son arrivée à Versailles et la rapidité de son déclin alimentent les rumeurs teintées de poison. Après une enquête poussée, l’hypothèse d’un empoisonnement se concrétise. Du poison est retrouvé dans l’eau destinée à la jeune femme. À l’été 1680, le nom de la marquise de Montespan est cité par Nicolas de la Reynie et ses équipes. La confiance rompue, la disgrâce est consommée.
La fin d’un règne
Le roi rencontre en secret Nicolas de la Reynie qui lui rend un rapport accablant. La culpabilité de mademoiselle des Œillets et de sa favorite est établie non seulement en matière d’empoisonnement mais aussi au sujet des crimes rituels impliquant un important trafic de nourrissons. Il apprend ainsi que sa maîtresse lui a fait boire, à son insu, toutes sortes de philtres d’amours et d’aphrodisiaques. Au roi se substitue un homme trahi.
La femme qu’il a aimé durant quatorze ans et avec laquelle il a eu sept enfants n’est pas celle qu’il croyait. Pire encore, elle n’a pas hésité à s’enduire du sang de nouveau-nés pour pérenniser sa faveur. Louis XIV a le sentiment d’avoir donné sa confiance à une déséquilibrée et d’avoir perdu, à ses côtés, ses meilleures années. Une fois évoquée par Nicolas de la Reynie, la mort de Mademoiselle de Fontanges oblige le roi à prendre les décisions qui s’imposent. Si Athénaïs est bel et bien responsable, il s’agit de l’aune d’un scandale sans précédent. Ainsi se décide-t-il à statuer dès l’automne 1680.
Les différents protagonistes sont jugés de nuit, à huis-clos, dans un lieu tenu secret. Au regard de sa relation avec Athénaïs et des sept enfants qu’elle lui a donnés, sans parler des secrets d’États dont elle a connaissance, il lui épargne la prison. Si elle perd définitivement la faveur de son amant, elle ne sera jamais inquiétée par la police. Le roi brûle, personnellement, toutes les preuves incriminantes et encore aujourd’hui, seul le témoignage de Nicolas de la Reynie atteste de l’implication de la favorite dans cette sombre affaire des Poisons. En revanche, Dame Voisin est brûlée en place de Grève comme il en est coutume au sujet de la sorcellerie tandis que mademoiselle des Œillets est exilée sur ses terres.
La perte de ses appartements pour les bas-fonds du château et la liaison assumée du roi avec son amie Françoise Scarron se révèle être sa plus grande punition. Le mariage de Louis XIV avec Françoise porte le coup ultime à Athénaïs. Elle supporte trois années de souffrance, contrainte d’assister à l’avènement de son ancienne amie. De la même manière que Louise de la Vallière, elle se réfugie alors dans la dévotion avant de quitter Versailles. Elle se retire 1683 dans l’indifférence générale. Ses dernières années sont marquées par son repli sur elle-même. Elle meurt finalement le 28 mai 1707 dans son Poitou natal auprès de sa sœur Marie-Madeleine.
Incarnation de la favorite dans sa pleine acception, par l’abnégation dont elle a fait preuve et son esprit légendaire, Athénaïs de Montespan incarne le versant éclatant du règne du Roi Soleil. Des ses triomphes jusqu’aux scandales, elle incarne la parfaite ardeur de l’amante, prête à tout pour conserver les faveurs.
© Mélanie Gaudry
Correctrice : Sarah Baeurlé
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