« Courageux, magnifiques jeunes gens ! Vous ne serez pas morts en vain, vous ne serez pas oubliés », s’époumone Thomas Mann sur les ondes de la BBC quelques mois après l’exécution de Sophie Scholl et de ses camarades de lutte.
Aujourd’hui, Sophie Scholl aurait cent-trois ans, elle nous aurait probablement raconté les années d’après-guerre, conté l’histoire de la construction européenne qu’elle espérait tant. Elle nous aurait sans doute témoigné tout cela, mais elle est morte, à l’aube de sa majorité, dans l’une des prisons du Troisième Reich. Elle est ce que l’on appelle une icône de la résistance à l’oppression nazie d’après-guerre, reconnue et adulée aussi bien par la République démocratique allemande (RDA), que par la République fédérale allemande (RFA). Chacune se réclamant d’une filiation avec ce destin héroïque, incontestablement au service de la dénazification d’un pays divisé.
Une enfance marquée par la nazification de l’Allemagne
Sophie Scholl naît le 9 mai 1921 à Forchtenberg (Baden-Württemberg). Elle reçoit une éducation portée par de fortes valeurs chrétiennes, à l’instar de ses cinq frères et sœurs. Lorsque Hitler arrive à la chancellerie en 1933, elle et ses frères, Werner et Hans, rejoignent les Jeunesses hitlériennes. Les garçons quittent rapidement ce mouvement de masse pour faire valoir leurs propres principes. Cette décision n’est pas sans conséquence puisque l’un, Werner, ne peut se présenter aux épreuves du baccalauréat, tandis que l’autre, Hans, est arrêté et emprisonné durant plusieurs semaines. Quant à Sophie, elle ressent ce manque de liberté de conscience mais voyant le destin de ses frères, se plie à cette autorité.
Après son obtention de l’Abitur, soit le baccalauréat, en 1940, elle travaille pendant deux ans auprès des enfants puis entame des études de philosophie et de biologie en 1942 à l’Université de Munich. L’université de Munich compte alors parmi les plus renommées d’Europe. Elle jouit ainsi d’une notoriété séculaire, implantée depuis 1826 dans la capitale bavaroise. Pendant l’entre-deux-guerres, elle est le berceau du national-socialisme où Hitler est une vraie « coqueluche » de la petite-bourgeoise, voire des grandes familles d’industriels qui soutiennent politiquement et financièrement le Führer. En mars 1933, le camp de concentration de Dachau est ouvert à une trentaine de kilomètres de là. Désormais, le décor est planté. La ville de Munich, son histoire, sa réputation et son influence pour le régime nazi sont autant d’informations essentielles pour comprendre l’histoire de Sophie Scholl et de son mouvement de résistance « Die weiße Rose », la Rose blanche.
Die weiße Rose : mémoire d’une résistance par la plume
Au printemps 1942, alors que les armées allemandes subissent d’importantes pertes humaines et matérielles sur le front de l’Est, la résistance intérieure s’intensifie. Hans Scholl et son ami Alexander Schmorell rédigent et distribuent des premiers tracts contre le régime au sein même de l’Université de Munich. L’action, véritable acte de naissance du mouvement, se réitère à cinq reprises entre juin 1942 et février 1943. Les quatre premiers tracts sont distribués en deux semaines à peine ; ceux-ci s’adressent premièrement aux étudiants puis à toute la population allemande. Population qu’ils dénoncent d’étroite complicité avec le régime hitlérien qu’elle a voté tandis que de nombreux juifs sont massacrés en Pologne ; ce que les auteurs qualifient de « crime le plus terrible contre la dignité humaine ». Le cinquième tract, écrit à l’hiver 1942-1943 alors que la bataille de Stalingrad atteint son paroxysme, est la traduction de l’expérience de Hans sur le front de l’Est. À présent, ses camarades de lutte et lui sont convaincus de la défaite à venir de l’Allemagne. Ils l’écrivent d’ailleurs en des termes très éclairant sur le tract qui prône le fédéralisme européen en Allemagne :
« Déchirez ce manteau d’indifférence, dont vous avez recouvert votre cœur ! Décidez-vous avant qu’il ne soit trop tard »
Nous pouvons y lire que « seule une coopération généreuse entre les peuples européens permettra de jeter les fondements d’un nouvel ordre. ».
Le sixième tract qui dénonce la politique de guerre du Troisième Reich est le dernier. Le 16 février 1943, après la distribution d’un millier de papillons dans Munich, dont quelques exemplaires doivent être distribués à l’université, les auteurs sont découverts et dénoncés. Ils sont alors arrêtés et condamnés à mort.
Une condamnation à mort, une mémoire revendiquée
Sophie et Hans Scholl, aux côtés de leur ami Christoph Probst, comparent les premiers devant le tribunal du peuple (Volksgerichtshof), présidé par Roland Freisler.
Ce 21 février 1943, ils se succèdent à la barre pour leur défense. Le frère et la sœur revendiquent leurs actes en face d’une assemblée d’impitoyables jurés. Leurs déclarations sonnent comme un appel au courage civil.
Sophie déclare : « Ce que nous avons dit et écrit, beaucoup le pensent mais n’osent pas l’exprimer ».
Hans ajoute : « Dans quelques temps, c’est vous qui serez à notre place ». Ce sera leur dernier acte de résistance. Le lendemain, le couperet tombe.
Dans l’Allemagne en reconstruction, Robert Scholl, leur père, devient le maire d’Ulm de 1945 à 1948. Werner a disparu à quelque part en Russie, son corps n’a jamais été retrouvé. Leur sœur, Inge Scholl, décide de relater leur histoire à travers celle du mouvement dans son livre « Die weiße Rose ». En 1987, elle participe à la création d’une fondation en mémoire du mouvement et de la résistance allemande contre le nazisme.
Aujourd’hui, les bureaux de cette association sont toujours situés à l’Université de Munich, ici-même où les Scholl ont agi huit décennies plus tôt. Ils ne sont pas morts en vain, ils ne sont et ne seront pas oubliés, comme le revendiquait Thomas Mann.
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