Constance Mayer


Connaissez-vous Constance Mayer ? Ou est-ce encore un personnage de l’Histoire de France effacé par une historiographie et une société marquée par la domination masculine ?

C’est une grande dame qui mérite pourtant d’être mentionnée et reconnue, ramenée sur la scène des grands artistes. Alors que je découvrais Artemisia Gentileschi et ses magnifiques peintures de la Renaissance il y a quelques années, je me suis demandé combien d’autres artistes féminines du passé je ne connaissais pas.

Constance Mayer faisait partie d’entre elles jusqu’à peu. Je l’ai découverte dans un ouvrage dédié aux grandes hystériques, dans une collection de la « Folle Histoire ». Elle serait « hystérique », car elle s’est donné la mort avec le rasoir de son amant. Il m’a fallu en savoir plus.

Fruit de la liaison entre son père, Pierre Mayer de La Martinière, et Marie-Françoise Lenoir, elle naît en 1774 et grandit dans un couvent où son père, bienveillant et aimant, lui offre la possibilité de découvrir et de pratiquer les arts, qu’elle exerce avec talent.

Sur fond des événements révolutionnaires, un vent de liberté souffle sur la France, et les artistes en profitent. Après avoir été l’élève de Jean-Benoît Suvée, rival du peintre David, elle rejoint l’atelier de Greuze et expose plusieurs toiles au Salon, tout en participant, avec d’autres jeunes femmes peintres, à une grande production de figures dans le style du maître de l’atelier. Cependant, Greuze est réticent quant à la laisser signer et elle est étouffée dans un registre qui la réduit : les portraits. Elle est inspirée par la peinture sensuelle de Prud’hon, un genre qu’elle ne peut pas exposer à l’époque, étant une femme.

En 1803, elle rejoint l’atelier de Pierre-Paul Prud’hon. Elle a 29 ans, il a 45 ans, marié et père de cinq enfants. Pourtant, ils s’éprennent passionnément l’un de l’autre et vivent dans la clandestinité un amour dévorant. Prud’hon, malheureux, aurait vu son épouse sombrer dans l’alcool et aurait retrouvé le bonheur auprès de Constance. Elle devient pour lui une élève, une amie, une amante et une maîtresse de maison, chargée des enfants.

Les deux amants peignent ensemble, côte à côte, et le couple reçoit chez Constance. Elle va jusqu’à mettre sa fortune personnelle au service de la réputation de Prud’hon, de leur vie commune, et de l’éducation de ses enfants, qui lui sont pourtant hostiles. Elle-même n’aura pas de descendance.

Entre 1805 et 1807, Constance est comblée par le succès de ses premières toiles historiques.On commence à la reconnaître comme peintre d’histoire, et pas seulement comme portraitiste, ce qui est rare pour une femme à cette époque.

Constance devient l’une des peintres favorites de l’impératrice Joséphine. Elle décroche même une médaille au Salon de 1806 pour son tableau Le Sommeil de Vénus. Cependant, les critiques boudent ce qu’ils considèrent comme de l’impudicité des corps ! Un critique du Journal de Paris précise même : « Il ne faut pas qu’un sujet érotique soit traité par une demoiselle ». Un autre : « il nous semble que cela pèche au moins contre les convenances et contre les mœurs ». Pied de nez aux boudeurs : le tableau est acquis par la couronne de France en 1808, à la demande de Joséphine de Beauharnais ! C’est la consécration !

Constance, rebelle et dépassant les conventions, merci pour ta peinture !

Le Sommeil de Vénus, 1805, Constance Mayer

Un autre problème : Le sommeil de Vénus et d’autres œuvres de Constance sont encore attribuées à Pierre-Paul Prud’hon, tant les historiographes ont, souvent volontairement, et parfois avec acharnement, réduit le talent, piétiné le travail et dénié la contribution artistique de Constance Mayer. Le Sommeil de Vénus, revendu au collectionneur Sir Richard Wallace, portait à l’origine la signature de Constance : on l’effacera ensuite pour y apposer celle de Prud’hon ! Ce geste aurait eu pour but de spéculer sur la valeur de ses peintures. Rappelons que tous les dessins, esquisses et peintures attribués à Prud’hon après 1803 doivent être considérés avec prudence, car toute l’œuvre de Constance reste à réattribuer.

En 1808, son père décède d’un accident brutal. Parallèlement, l’impératrice Joséphine est déchue et Constance perd de l’aura dans la sphère artistique. Tout cela la bouscule et son amour pour Prud’hon en ressort renforcé, devenant sa seule raison de vivre. La nouvelle fortune dont elle dispose sert à son amant et à ses enfants qui font face depuis plusieurs années à de graves soucis financiers. N’étant pas mariés, Constance et Pierre-Paul ne peuvent pas vivre ensemble. Elle emménage alors près de chez eux et devient leur voisine de palier.Passant une grande partie de son temps à s’occuper des enfants et à aider Prud’hon pour ses commandes (il est réputé pour son rythme lent), elle doit peindre ses propres toiles de nuit et commence à s’épuiser physiquement. Artistiquement, l’image « d’élève éternelle » commence à lui coller à la peau. Elle apporte une aide précieuse à Prud’hon et il est difficile de distinguer leur part respective dans certaines toiles.

En 1819, Constance présente Le rêve du bonheur au Salon. C’est une œuvre emblématique de ses espoirs déçus. Un jeune couple est étendu sur une barque conduite par l’Amour et la Fortune, sur le fleuve de la vie. N’est-ce pas une allégorie du couple Mayer-Prud’hon, si fortement uni dans la vie et dans l’art ? Cette peinture montre des aspirations intenses au bonheur.

Minées par l’angoisse, les inquiétudes de Constance grandissent. Elle craint de perdre Pierre-Paul par un déménagement qui l’éloignerait de lui et de ses enfants. Ces derniers se comportent de plus en plus mal envers elle, notamment Émilie, qui attend d’être richement dotée, alors qu’une grande partie de la fortune de Constance s’est envolée pour aider cette famille.

Inquiète de l’attitude de Pierre-Paul, de l’impossibilité d’officialiser leur amour, et révoltée par les signatures douteuses sur certaines de ses toiles, elle se tranche la gorge avec le rasoir de Prud’hon, dans sa chambre le 26 mai 1821.

Constance Mayer a été flouée. Par la spéculation et l’historiographie, elle a été maintenue au statut d’élève, masquant ainsi son talent, l’originalité de son œuvre et son génie créateur. Par son suicide, elle représente pour certains la première véritable héroïne romantique du XIXe siècle.

© Suzanne Poulat
Correctrice : Isabelle bénard

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