Pour ce nouvel article, direction la Première Guerre mondiale. C’est en apprenant que Nicole Girard-Mangin a été la seule femme médecin française au front lors de ce conflit que j’ai découvert l’histoire incroyable de cette femme.
10 000 médecins au front. 1 seule femme : c’est elle.
Nicole est née en 1878 à Paris. Son père, instituteur originaire de la Meuse, l’encourage dans ses apprentissages. Elle est attirée par la médecine et entame des études à Paris à l’âge de 18 ans. En 1899, elle réussit à intégrer l’externat des Hôpitaux de Paris.
La même année, elle épouse André Girard et décide d’abandonner ses études. Ils ont un fils, Étienne. Au départ, Nicole semble donc avoir choisi une voie traditionnelle : celle de femme au foyer. Mais après son divorce en 1903, elle revient à la médecine, son premier amour, inconditionnel et infini. En 1909, elle présente sa thèse sur les poisons cancéreux et parvient à se faire une place dans une profession dominée par un cercle d’hommes. Elle donne des cours à la Sorbonne et représente la France au Congrès international de Vienne en 1910 (« seul point blanc dans la masse de redingotes noires », dixit l’auteure de sa biographie récente, Cécile Chabaud).
Jusque-là, le destin de Nicole Girard-Mangin sort de l’ordinaire. Une femme divorcée, une femme médecin. Une modernité incroyable pour l’époque !
Son histoire ne s’arrête pas là va ! Après la déclaration de la Première Guerre mondiale, elle reçoit une lettre : le « docteur Girard Mangin » est mobilisé. Il ne fait aucun doute que l’administration imagine un homme. Nicole enfonce la porte et répond à l’appel. Sa présence suscite de nombreux remous, mais l’afflux des blessés la rend indispensable. Plusieurs indices révèlent la misogynie ambiante : l’armée n’a pas prévu d’uniforme pour elle et lui trouve un uniforme de médecin féminin britannique ; de ses supérieurs envoient régulièrement des lettres pour demander son départ (dans le contexte de la Première Guerre mondiale, ce zèle sexiste impressionne !) ; enfin, elle est rémunérée comme une infirmière et n’obtiendra le titre de médecin-major qu’en 1916 !
Comme les autres soldats, Nicole subit les conditions extrêmement difficiles du front : « Chirurgie sans arrêt, de jour comme de nuit, pendant des semaines, jusqu’à ce que l’on tombe, à bout de forces, sur un brancard pour dormir un peu », témoigne-t-elle dans des lettres à ses proches.
Entre 1914 et 1916, elle est affectée à différents secteurs du front où elle est blessée à l’oreille par des éclats d’obus. De son vivant, sa seule véritable reconnaissance lui vient des soldats, des poilus, qui la remercient pour ses soins en lui dédiant une plaque commémorative.
En 1916, après avoir obtenu le titre de médecin-major, elle est envoyée à Paris, pour diriger l’hôpital Edith Cavell. Elle y forme des infirmières destinées à être envoyées au front. À la fin des conflits, elle retourne à la vie civile sans honneur ni décoration de la part de l’armée.
Elle s’engage alors au sein de la Croix-Rouge et donne régulière des conférences pour présenter le rôle des femmes lors de la Grande Guerre. Elle milite pour les droits des femmes et leur éducation à travers l’Union des femmes de France. Elle participe également à la création de la Ligue contre le cancer, sujet en rapport avec sa thèse et ses recherches.
Alors qu’elle prépare une tournée mondiale pour présenter ses recherches et la Ligue, elle est retrouvée morte chez elle en juin 1919. Des fioles et des boîtes de médicaments vides se trouvent au pied de son lit. Auprès d’elle, sa chienne Dun, qu’elle a nommée ainsi en référence à la zone guerre de Verdun.
Nicole se serait suicidée après avoir appris qu’elle était atteinte d’un cancer incurable, cancer en rapport avec la blessure à l’oreille qu’elle a reçu alors qu’elle était au cœur des combats.
Oubliée pendant près d’un siècle, les hommages reprennent doucement. En 2021, elle reçoit à titre posthume la médaille d’honneur du Service des Armées. En 2022, elle reçoit à titre posthume la médaille commémorative de la bataille de Verdun décernée par la ville. En 2024, Cécile Chabaud lui consacre une belle biographie romancée : De femme et d’acier.
Dans l’espoir que ces hommages se multiplient et que Nicole Girard-Mangin sorte de l’oubli, c’est le minimum qu’elle mérite.
© Suzanne Poulat
Correction : Isabelle Bénard
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