Madame de Maintenon : De veuve Scarron à Cendrillon


Du temps de la révocation de l’Édit de Nantes jusqu’à sa mort, Louis XIV (1638-1715) eut auprès de lui une femme que l’Histoire hésite à qualifier de seconde épouse ou de dernière favorite : Françoise d’Aubigné Marquise de Maintenon (1635-1719).

De toutes les maîtresses du souverain, elle fut celle qui lui apporta un soutien indéfectible autant dans sa vie personnelle que politique. Le destin de Madame de Maintenon, aussi improbable qu’extraordinaire, ressemble à un conte de fées classique.    

Éducation sentimentale

Si les jeunes années de Louis XIV furent marquées par des amitiés amoureuses somme toute platoniques avec l’une des nièces de Mazarin, Marie Mancini, puis avec la future épouse de Monsieur son frère, Henriette d’Angleterre, les passions du souverain prirent rapidement une place primordiale à la Cour mais également dans la vie politique française.

Ce fut d’abord la douce Louise de la Vallière qui parvint à conquérir le monarque. Choisie par la Reine Mère Anne d’Autriche comme écran de fumée pour apaiser les rumeurs de liaison avec la future épouse du Duc d’Orléans, rien ne prédestinait cette jeune femme effacée à endosser le rôle tant convoité de « favorite en titre ». Si les débuts de Louis XIV, alors jeune souverain encore hanté par la Fronde, sont encore hésitants, son idylle avec la morne Melle de La Vallière ne résistera pas à ses rêves de grandeur. De succès en succès naît le Roi Soleil, monarque absolu, à l’ambition sans pareille. C’est donc tout naturellement qu’il jette son dévolu sur Athenaïs de Mortemart Marquise de Montespan, la plus belle de toutes les courtisanes mais aussi celle dont l’esprit aiguisé règne déjà sur Versailles.

Pendant que Louis XIV fait son éducation sentimentale auprès de Louise et découvre la sensualité avec Athenaïs, la future Madame de Maintenon est, aux yeux du Tout-Paris, la veuve Scarron, désargentée et obligée de réclamer une pension à la Reine Mère pour subvenir à ses besoins.

De Cendrillon à veuve Scarron

Petite-fille du célèbre écrivain Agrippa d’Aubigné, Françoise passe les premières années de sa vie à la Martinique, auprès d’un père gouverneur et d’une mère soumise aux caprices de son mari. Très vite, le couple part en éclats et la petite fille est contrainte de regagner la Rochelle avec sa mère. Réduite à mendier de quoi se sustenter, la jeune Françoise a douze ans quand elle est recueillie par une tante qui se charge de son éducation.
Le Couvent des Ursulines lui offre l’accès aux mondanités parisiennes. Sous la protection du chevalier de Meré, l’adolescente rencontre le poète Paul Scarron, influent dans le milieu des arts et des lettres. Ce dernier est infirme, paralysé en forme d’équerre suite à une baignade malheureuse, de quarante ans son aîné et de réputation libertine. Rapidement, Scarron tombe sous le charme de la jeune fille. Il aime l’entendre raconter son enfance  » sauvage  » passée dans un cabanon à Marie Galante. Celle qu’il prend plaisir à surnommer « la belle indienne » l’inspire dans ses créations et le sensibilise aux sorts des colonies, le convaincant de prendre des actions dans le commerce de la canne à sucre.

Le couple se marie en grande pompe au  printemps 1652.
Ce qui ressemble, de prime abord, à un mariage d’argent entre une jeune fille sans le sou et un vieux paralytique est en réalité un mariage d’amour. Françoise admire le talent de son mari, dont la plume acérée ne cesse de remplir son salon du Marais. Le vieux Scarron raffole de cette épouse mutine à la beauté discrète qui organise des mondanités où se pressent des hôtes de haut rang.

Durant les huit années que dure son mariage, la jeune Françoise se crée un réseau solide et des amitiés qui joueront un rôle clé dans son destin hors du commun. En effet, c’est durant cette période qu’elle fait la connaissance de Ninon de Lenclos, Madame de Sévigné et surtout Madame de Montespan.

En 1660, Paul Scarron meurt, laissant son épouse dans un total dénuement et une affliction incommensurable. Les dettes accumulées par les goûts luxueux de son mari lui font perdre son hôtel particulier, son train de vie et une grande partie de ses amis.

Le chemin de Versailles

Alors que l’hiver s’annonce rude, Françoise trouve asile à la Compagnie de Jésus, chez les Jésuites, dans un établissement imposant de la rue du Temple. Sur les conseils de Ninon de Lenclos, elle renouvelle ses demandes de pension auprès d’Anne d’Autriche, lesquelles demeurent sans réponse.

Dans sa petite chambre, la veuve Scarron fait tant bien que mal son deuil et reçoit les rares personnes qui ne lui ont pas totalement tourné le dos.
Si le faste et le luxe attirent les amis « de circonstances », le chagrin se fuit comme le typhus. Françoise a vingt-cinq ans quand elle se rend compte de la nature du genre humain, qui aime aussi vite qu’il oublie, au gré des passions que lui inspirent ses intérêts. La jeune femme se tourne alors vers la dévotion.

Au printemps 1661, après un hiver éprouvant passé chez les Jésuites, elle apprend que la Cour lui octroie enfin les deux mille francs de pension qui l’aideront à éponger les dettes de son défunt mari.

Si ses conditions de vie s’améliorent, l’amenant à pouvoir fréquenter à nouveau les salons du Marais, à prendre un amant et ainsi reprendre pied dans son milieu social, la partie n’est pas encore gagnée pour la jeune femme. Le souvenir de son enfance précaire et sa foi lui fournissent l’abnégation nécessaire pour ne pas s’effondrer face aux multiples rejets qu’elle essuie, notamment les moqueries de ses pairs et l’interdiction de siéger à la Cour en dépit de ses titres.

À la mort d’Anne d’Autriche, Françoise voit sa pension révoquée. Qu’importe, elle se rend quotidiennement à la Cour pour plaider sa cause auprès du Roi. Ce dernier finit par éprouver une certaine tendresse pour l’obstination de la veuve Scarron, qui chaque matin vient présenter ses doléances.

Grâce à l’intervention de son amie Athénaïs, alors favorite en titre, Françoise récupère sa rente et obtient même un tabouret, haute faveur réservée aux courtisans les plus en vue, lors de plusieurs fêtes royales précédant le Siège de Dole.

Françoise devient une figure incontournable de la Cour et se voit courtisée par maréchaux et autres seigneurs sensibles à sa beauté que les ans ont confirmée. Elle s’intéresse de plus en plus aux arts et aux lettres. De l’amour, elle n’a que faire. Sa dévotion, renforcée par les difficultés, lui suffit. Son mari n’étant plus et son amant ne lui inspirant plus que de l’aversion, la jeune femme, décrite par ses contemporains comme fort secrète, se contente d’un quotidien où alternent étiquette et prières.

L’année 1669 marque un tournant majeur dans la vie de Françoise d’Aubigné. Madame de Montespan lui propose de devenir la gouvernante des enfants illégitimes qu’elle a eus avec Louis XIV. Le caractère réservé et solitaire de la jeune femme en fait la candidate idéale et celle-ci, lasse de la vie de Cour, accepte.

Elle a trente-quatre ans quand elle disparaît de la vie mondaine pour s’installer rue de Vaugirard auprès des enfants adultérins.

De 1669 à 1774, Françoise y vit une vie paisible, se prenant d’affection pour les petits illégitimes envers lesquels elle se montre des plus maternelles. Elle y rencontre régulièrement le Roi qui, déguisé en paysan ou en bourgeois, rend de fréquentes visites à ses enfants. Les discussions autour de l’éducation deviennent, au fil du temps, plus intimes. Dépourvu d’escorte, Louis XIV prend plaisir à échanger avec la veuve Scarron dont la culture est remarquable. Il est touché par sa féminité teinté de douceur, d’autant plus que la revêche Athénaïs, ne s’étant jamais intéressée aux soins portés à ses enfants, perd à la comparaison. C’est un souverain sans artifices que redécouvre Françoise, loin des us et coutumes de la Cour. Une profonde inclination envahit la jeune femme tandis que le Roi sent son cœur chavirer.

L’affaire des Poisons achève la liaison moribonde entre le Roi et la Montespan. Le policier royal Nicolas de la Reynie expose au Roi l’implication de Madame de Montespan dans de douteux empoisonnements qui ont marqué la Cour ces dernières années. Le nom de Mademoiselle de Fontanges, qui fut brièvement maîtresse royale avant de périr dans de mystérieuses circonstances, est évoqué. Athénaïs est accusée d’avoir fait commerce avec Dame Voisin, une empoisonneuse du Marais reconnue coupable de sorcellerie. Des bébés issus d’un marché clandestin auraient été sacrifiés lors de rituels sataniques organisés avec la complicité de sa dame de compagnie, Mademoiselle des Oeillets, de pages royaux et de valets, afin qu’Athénaïs conserve la faveur royale.
Si la plupart des protagonistes sont condamnés au bûcher de la Place de Grève, le Roi ne peut révoquer sa maîtresse sans s’exposer aux médisances de la vox populi mais aussi de la Cour. Athénaïs perd ses luxueux appartements et ses invitations à la promenade royale, mais demeure provisoirement tolérée à Versailles.

Ainsi se termine le règne de Madame de Montespan, laquelle n’aura pas imaginé que sa principale rivale serait la femme qu’elle avait elle-même chargée de garder ses enfants.

La veuve Scarron, qui se rendait à Versailles en voiture publique pour quémander une rente, devient en l’espace d’une décennie la nouvelle maîtresse de Louis XIV. Nouvelle, certes, mais surtout la dernière.

Le temps n’est plus où le jeune monarque recherchait l’épaule de l’effacée Louise de la Vallière pour adoucir son début de règne. Quant au faire-valoir de qualité qu’était Athénaïs de Montespan, l’arme indispensable pour prouver sa suprématie nouvelle, il n’en a plus besoin non plus. Comme Françoise, Louis XIV a vécu. Il a connu ses heures de gloire et ses déconvenues amoureuses, perdu des êtres chers et éprouvé la peur du lendemain. Son pouvoir n’est plus à prouver. La France et ses colonies n’ont jamais autant rayonné, tout comme l’homme qui se cache derrière le blason royal.
C’est un souverain apaisé, enfin prêt à aimer, qui introduit sa nouvelle favorite à Versailles. Sous l’influence de Françoise, il légitimise ses enfants adultérins, sans toutefois mentionner leur mère, leur octroyant terres et titres.

En 1675, Françoise d’Aubigné, reçoit le titre de Marquise de Maintenon. Une consécration pour la petite veuve Scarron. Si la disgrâce d’Athénaïs est progressive, les tensions de la cohabitation forcée sont atténuées par les séjours au château de Maintenon que Françoise a fraîchement acquis. Les enfants adultérins y sont élevés avec la même tendresse que rue de Vaugirard. Madame de Maintenon et Louis XIV forment désormais un couple parental tacite, évinçant définitivement Athénaïs qui n’a jamais assumé son rôle de mère.

La Reine Françoise

La Reine Marie-Thérèse d’Autriche décède en juillet 1783 à l’âge de quarante-quatre ans, affaiblie par de multiples saignées prescrites pour traiter un abcès au bras.
Encore jeune, le Roi se voit proposer des prétendantes issues de royaumes voisins, dont il n’a que faire.
Au contraire, il voit un moyen de légitimer enfin sa liaison avec Françoise. Ainsi se marient-ils dans le secret de Versailles, auprès de quelques hauts fonctionnaires et du conseil des ministres, dans la nuit du 9 au 10 octobre 1783.
Au sein de la Cour, Madame de Maintenon est traitée en Reine, bénéficiant du même nombre de porteurs que sa prédécesseure, d’une importante suite et de la place d’honneur lors des dîners royaux. Ses appartements sont immenses, mitoyens à ceux de son époux où se presse sa propre Cour.

Bientôt, les rumeurs autour du second mariage du Roi gagnent Paris puis se répandent en province. Les ragots vont bon train sur celle que l’on dit austère, voire mystique. Lors de la révocation de l’Édit de Nantes en faveur de l’Édit de Fontainebleau en 1685, Françoise est accusée d’en être l’instigatrice. La conversion juvénile de la nouvelle Reine est pointée du doigt. Son influence sur le Grand Roi est décriée. On la dit fanatique, catholique intégriste, voire même dotée de dons surnaturels.

Or, si Françoise est favorable à la révocation de l’Édit de Nantes, elle ne cautionne pas la violence que les Dragons du Roi font peser sur les populations. À noter que les dragonnades sont antérieures au règne de Madame de Maintenon, tout comme la guerre du Poitou.

Des trente-deux années que le couple passeront ensemble, il ne restera que l’influence bénéfique de Françoise sur la Cour. Le vent libertin insufflé par Athenaïs disparaît rapidement au profit d’une piété à nouveau valorisée. Les courtisans cessent de se ruiner au jeu et assistent de nouveau aux grandes messes célébrées dans la chapelle du château de Versailles.
Le caractère mesuré de la nouvelle Reine lui permet de ne pas attiser les tensions. Si l’accueil réservé par la plèbe et les courtisans lui cause de la peine, elle n’en laisse rien paraître. Les épreuves rencontrées lors de son enfance puis après la perte de son premier mari ont renforcé son caractère. Françoise n’attend rien d’autrui, aussi ne cherche-t-elle pas à user d’artifices ou de ruses pour se faire apprécier. Seul compte son bonheur auprès de l’homme aimé, ce monarque admiré de tous qui ne demande qu’à recevoir une affection sincère, tel un enfant qui aurait grandi trop vite.

Aussi, un calme teinté de piété vient auréoler le Roi qui, heureux auprès de Françoise, se montre enfin fidèle. Jusqu’à sa mort, Louis XIV ne prendra plus de maîtresse, réservant son attachement à sa bien-aimée. En 1686, il lui permet d’ouvrir la Maison Royale de Saint-Cyr, pensionnat au sein duquel elle a la joie de prodiguer de l’affection à ses petits élèves. Si les dernières années du souverain sont marquées par les deuils successifs, notamment celui du Dauphin en 1701, il trouve en son épouse un refuge solide teinté de tendresse.

Le Roi Soleil meurt en 1715, soit quatre ans avant Françoise, laquelle se retire ensuite dans la Maison Royale de Saint-Cyr.

Une relation des plus singulière disparaît avec eux, laissant en héritage le souvenir d’un amour aux allures de mythe comparable à un conte de fées où la petite veuve devient Reine et le Roi inaccessible, un amoureux transi.

© Mélanie Gaudry

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