Jeanne du Barry : splendeurs et misères de la dernière favorite royale


Certaines favorites, en se hissant jusqu’à la place la plus enviée de la Cour, y apportent un vent nouveau, un enthousiasme unique et ce, en dépit de l’hostilité des critiques. Jeanne du Barry (1743-1793), maîtresse de Louis XV lors de la dernière partie de son règne, compta parmi elles.

Première locataire du Petit Trianon, mécène hors pair, conseillère politique, elle a su se faire une place de choix au sein d’un Versailles hostile tout en imposant sa personnalité atypique. Pourtant, rien ne prédestinait Jeanne Bécu, fille de joie des salons parisiens à devenir la Comtesse du Barry, dernière favorite de l’Ancien Régime.

Jeanne, Mademoiselle Lange

Fruit des amours interdits entre Anne Bécu de Cantigny, une lingère et un moine, la petite Jeanne naquit en 1743 à Vaucouleurs en Lorraine. Surnommée l’ange en référence à son père, Frère Ange, mais aussi en rapport à sa beauté angélique, elle connut une enfance précaire.

Lorsque sa mère se maria avec Nicolas Rançon,  un domestique parisien, les portes de l’éducation s’ouvrirent enfin puisqu’elle fut placée en pension chez les Dames de Saint-Aure qui obéissaient aux règles de Saint Augustin. La fillette avait alors huit ans. Son père, devenu prêtre à l’Eglise Saint Eustache, veilla personnellement à son éducation. La petite fille se révéla une élève assidue, douée pour les arts et les lettres, fort consciencieuse et en avance sur son âge.

A quinze ans, arrivée au terme de son instruction, Jeanne quitta les Dames de Saint-Aure. Sa mère la plaça comme dame de compagnie chez Madame Delay de la Garde. Jeanne y apprit les codes de la vie mondaine dont elle ignorait tout. Sa maîtresse appréciait la compagnie de l’adolescente et peu à peu lui confia de plus en plus de tâches, notamment le choix de tissus pour ses robes. Jeanne, quoiqu’issue du bas peuple, se sentit parfaitement à son aise dans le milieu aristocratique. Malheureusement, sa beauté et ses qualités relationnelles attisèrent la jalousie des autres domestiques. La rumeur d’une supposée liaison avec les frères de Madame Delay de la Garde engendra son renvoi immédiat.

La jeune fille se retrouva alors à la rue, en proie à tous les dangers des bas-fonds du Paris de 1758, notamment le proxénétisme.
Le destin voulu que les portes de la galanterie ne s’ouvrent à elle que plus tard.

Pour l’heure, la jeune fille s’éprend de Lametz, un coiffeur qui lui apprenait le métier et subvenait à ses besoins. Plus tard, à la Cour, le soin de mettre en valeur sa chevelure contribua à son avènement et entérina sa légende. En dépit de ses talents de coiffeuse qui ameutaient le Tout-Paris de l’époque, Jeanne ne pût empêcher son amant dépensier de connaître une ruine prévisible. Bientôt les parents de ce dernier l’accusèrent de dilapider les écus du commerçant et la chassèrent sans ménagement.

Grâce au soutien de ses clientes, Jeanne parvint rapidement à trouver une place de vendeuse au sein du magasin luxueux  » La Toilette. » Elle y devint Mademoiselle Lange en référence à son père comme autrefois à Vaucouleurs. La jeune fille prenait plaisir à manipuler les articles de haute confection réservés aux courtisanes et clientes issues de la noblesse. C’est durant cette période qu’elle développa son goût pour les belles toilettes qui vint parachever son apprentissage du luxe. Le goût des mondanités acquit au service de Madame Delay de la Garde, celui de la coiffure auprès de Lametz et désormais l’art de se parer s’avérèrent autant d’atouts qui contribuèrent à son ascension future.

Si le cadre était particulièrement plaisant pour une adolescente coquette et friande de belles de pièces, il était pourtant de notoriété publique que les employées de « La Toilette » arrondissaient leurs fins de mois au sein de maisons de galanterie. Les vendeuses étaient même choisies pour leur physique par la patronne que l’on pourrait qualifier à raison de Madame Claude tant son magasin était réputé dans le demi-monde pour proposer un large éventail de filles de joie.

Jeanne avait presque vingt ans quand elle se laissa éblouir par l’argent facile, la belle vie que ses petites sœurs de charité prétendaient mener. D’abord réticente, elle sombra alors dans la prostitution dont le XVIII -ème siècle se fait le sinistre âge d’or. À Paris se divisaient alors prostituées de bas niveaux, reléguées aux trottoirs du Châtelet ; pensionnaires de maisons closes travaillant à la chaîne et tenancières de salons galants ; comme une hiérarchie d’un nouvel ordre de la misère humaine. Bientôt, d’orgies en pratiques candaulistes, la beauté de Jeanne lui conféra un grand succès au sein des bordels parisiens. Si bien qu’elle se vit promue, sous la protection du Comte Jean-Baptiste du Barry à la vie de fille publique de salons galants.

Le Comte du Barry était un dandy sur le déclin, porté sur l’eau de vie et dont la réputation est chancelante parmi ses pairs. Sans le sou et criblé de dettes, le commerce des femmes se révéla son principal gagne-pain outre ses multiples escroqueries. Aussi brandit-il sa particule et son titre de comte pour mettre en confiance des jeunes femmes aussi naïves que désargentées, leur promettant mariage et opulence en échange de quelques moments passés auprès de ses « amis. »

Le Comte du Barry incarnait tous les vices d’une aristocratie vieillissante, dégénérée par l’oisiveté et la consanguinité, qui partageait son temps entre malversation et plaisirs éphémères aux allures de vices.
Les femmes issues du bas peuple idéalisaient cette noblesse synonyme d’argent et de puissance, leur désir de quitter leurs conditions précaires faisait le reste. Jeanne ne dérogea pas à la règle. Sa rencontre avec le comte lui fit espérer une ascension sociale rapide, d’autant plus que son protecteur l’emmenait à l’opéra et au théâtre, lui faisant miroiter une vie de mondanités et de voluptés.

De son côté, Du Barry, subjugué par le profit que la beauté de la jeune femme pouvait lui apporter, ne jurait plus que par elle.
Délaissant ses autres proies, il entreprit d’introduire Jeanne auprès des grands du royaume. Pour se faire, le Comte du Barry décida de parader, la jeune femme à son bras lors d’événements où se mêlaient courtisans et nobles éminents. Sa stratégie fonctionna à merveille puisque les clients les plus réputés se pressèrent à sa porte pour obtenir les faveurs de la sublime jeune femme. Le duc de Richelieu, le duc d’Aiguillon et le comte Moncrif comptèrent parmi les plus réguliers, ce qui joua plus tard un rôle dans la disgrâce du principal ministre d’état, le duc de Choiseul.

Durant cette période, Jeanne, épuisée par le rythme imposé par Du Barry et par la crainte de contracter une maladie vénérienne, s’enfuit pour rejoindre sa famille. Retrouvant sa modeste condition et subissant les reproches maternels, la jeune femme finit par se raviser.
Pour être certain de conserver son précieux gagne-pain, son protecteur donna la charge de receveur des gabelles à Fresnay-sur-Sarthe à son beau-père puis la logea avec sa mère dans sa maison de la rue de la Jussienne. L’emprise était désormais scellée.

Ombres et lumières sur Versailles 

En 1768, l’influence du Duc de Choiseul, premier ministre de Louis XV était chancelante. La mort de sa protectrice, la favorite Madame de Pompadour, le contraignit à user d’habileté pour conserver la faveur royale. Ministre de la modernité, Choiseul ne faisait pas l’unanimité auprès des conservateurs mais le roi appréciait sa volonté de renforcer l’état au profit de l’Eglise. La suppression de l’ordre de Jésus en 1764 lui valut l’inimitié des dévots, ce qui provoqua de vives tensions au sein de la Cour.

Le comte du Barry et ses camarades imaginèrent alors un stratagème ingénieux pour évincer définitivement le Duc de Choiseul et ainsi favoriser l’accès du Duc de Richelieu, alors premier gentilhomme de la Chambre du roi et gouverneur de Guyenne, au Conseil d’État. Jeanne fut introduite auprès de Louis XV afin qu’elle devienne sa maîtresse et influence son jugement sur l’homme à abattre. S’ils parvenaient à leurs fins, la promotion du duc de Richelieu serait synonyme, d’une escalade d’égards royaux.

Sous la pression du comte du Barry, Jeanne fit son entrée à Versailles auprès de sa mère Anne Rançon de Cantigny. Si les débuts ne furent pas probants – le Roi ne remarqua pas sa présence – il lui fallut attendre la mort de la reine Marie Leczinska pour que le rapprochement s’opère. En effet, Louis XV se retira dans son château de Compiègne durant son temps de deuil où la jeune femme était finalement conviée. Grâce au valet Lebel qui fit office d’entremetteur, le comte du Barry parvint à imposer sa protégée dans le lit du roi. Celui-ci est immédiatement séduit par la spontanéité et le savoir-faire de l’ancienne galante.

À Compiègne, alors qu’il était censé porter le deuil de son épouse, Louis XV vit une seconde jeunesse, si bien que les amants ne se quittent plus. À soixante ans passé, il découvrit auprès de sa maîtresse, de plus de trente ans sa cadette, l’amour charnel en matière duquel il était encore novice. Et pour cause, la Reine Marie Leczinska n’a plus voulu entretenir de relations sexuelles après la naissance de ses enfants, quant à sa maîtresse Madame de Pompadour, elle était connue pour être frigide. Les quelques expériences du Roi se limitaient aux ribaudes vierges choisies par son ancienne favorite et quelques bagatelles de jeunesse l’année de son mariage. C’est donc sans surprise que Louis XV fut impressionné par les qualités de cette jeune ingénue dont l’amour était le métier.

Lors de son retour à Versailles, le roi décida de faire de Jeanne sa favorite en titre. Le protocole impose que la candidate soit issue de la noblesse pour pouvoir occuper cette fonction. Le comte du Barry étant déjà marié, il est alors convenu d’un mariage blanc avec le frère de ce dernier.
Jeanne épousa alors à la va-vite Guillaume du Barry à l’église Saint Eustache. Le mariage est célébré par son père le 1er septembre 1768, lequel est rompu l’année qui suit.

L’hiver précédant son installation à la Cour fut particulièrement difficile pour Jeanne.
Pamphlets et dessins obscènes fleurissaient depuis que la relation entre la jeune femme et le roi est officielle. Parisiens et courtisans se moquaient de cette inconnue que le souverain érigeait au premier plan. Le passé galant de Jeanne est exhumé, faisant d’elle l’objet des railleries les plus crues. La Cour était si hostile que Louis XV décida d’accélérer la présentation officielle afin de calmer les ardeurs de ses gens. Trouver un chaperon était un défi ardu pour le roi, aussi son choix se porta sur la très endettée Comtesse du Béarn qui n’avait pas les moyens de refuser la tâche, d’autant plus quand elle s’accompagnait de la suppression de ses dettes et de la protection de ses fils.

La présentation eût lieu le 23 avril 1768 devant une Cour dédaigneuse de voir portée aux nues une roturière à la réputation sulfureuse.
Le roi vit auprès de Jeanne un amour de jeunesse. La jeune femme est installée dans des appartements rénovés ironiquement par le frère de sa prédécesseure Madame de Pompadour. Situés sous la chambre de Louis XV, les portes à la dérobées permettaient au souverain de passer le plus clair de son temps auprès de sa nouvelle favorite.

Régulièrement, les conseils des ministres se tenaient chez Jeanne tant le roi peine à la quitter. Le duc de Choiseul, soupçonnant le complot dont il était l’objet, voit d’un mauvais œil cette ancienne prostituée qui a eu comme clients la plupart des courtisans. S’il tenta de mettre en garde son souverain, le ministre n’obtint que son inimitié.

La Cour, quant à elle, ne parvint pas à accepter la présence de Jeanne, cette magnifique jeune femme du peuple dont on racontait la carrière de demi-mondaine. Les hommes craignaient que leurs incartades soient révélées, détériorant ainsi leur réputation.
Gangrenées par la jalousie, les femmes ne pouvaient accepter qu’une fille publique, aussi belle soit-elle, leur ravissent, par son seul charme, la première place. Seul le Dauphin, Louis-Auguste, futur Louis XVI, se montra conciliant. Jeanne s’enferma alors dans la solitude, alternant les promenades avec sa chienne dans les jardins de Versailles et les moments intimes avec son amant.

En 1769, le roi lui offrit pour la distraire, un petit page de couleur, Zamor.
Esclave capturé par les britanniques, l’enfant n’avait que sept ans quand il fut recueilli par Jeanne, laquelle se fit un devoir de veiller à son éducation comme une mère. Ironiquement, ce sera Zamor qui causera sa perte pendant la révolution, l’accusant de l’avoir exploité à la Cour.

L’arrivée de Zamor se révèla un formidable porte-bonheur pour la jeune femme. Le soin qu’elle portait à ses coiffures, hérité de sa vie auprès de Lametz, ainsi que son goût pour choisir ses tenues, issu de son passé de vendeuse, lui conférèrent l’admiration des courtisans. Le roi se montra fort généreux envers sa maîtresse, la jeune femme parant de somptueuses parures et d’un budget conséquent pour ses toilettes. Le couple était plus que jamais uni. Louis XV, pourtant vieillissant, retrouva son insouciance de jeune homme. En dépit de l’arrangement originel, Jeanne tomba amoureuse de son amant, lui faisant des cadeaux avec la rente que celui-ci lui allouait. La jeune femme fut plus que jamais heureuse au sein de cette Cour dont elle avait désormais la faveur. Ses appartements qui se faisaient joyaux des Arts et des Lettres ne désemplissaient pas. Comme autrefois chez Madame Delay de la Garde, elle s’enivrait de mondanités et festivités, à la différence qu’elle était désormais la reine de son monde. Pour couronner son règne, le roi lui offre le château de Louveciennes qu’elle fit redécorer à sa guise comme elle le fera plus tard avec le Petit Trianon.

Bientôt, le duc de Richelieu se montra pressent. Il souhaitait l’éviction prochaine de son rival, le duc de Choiseul, pour lequel le roi nourrissait une pleine confiance. Du Barry savait que Louis XV n’évincerait pas son ministre pour des raisons politiques mais bien pour la passion qu’il nourrissait pour sa favorite. Le duc de Choiseul, pourtant au sommet de sa gloire avec l’alliance franco-autrichienne obtenue par la négociation du mariage du Dauphin avec la dernière fille de Marie-Thérèse D’Autriche, ne fit pas le poids face à Jeanne, talon d’Achille en jupons du roi.

Il faut dire que le duc de Choiseul, autrefois protégé de Madame de Pompadour, ne parvenait pas à accepter que cette dernière soit remplacée par une ancienne prostituée. Le ministre vouait à Jeanne une haine sans merci qui l’emmenait à encourager la diffusion de pamphlets outrageants à son encontre.
La Cour fut alors divisée entre les courtisans les plus dévots, toujours sous le coup de la dissolution de la Compagnie de Jésus, prenant parti pour la favorite et intrinsèquement pour le duc de Richelieu ; et les pro-Choiseul, progressistes en faveur du Parlement hostile au nouveau couple royal.

Si Louis XV ne pouvait tolérer l’animosité de son principal ministre à l’encontre de sa maîtresse, ce fut la guerre des Malouines qui marqua la disgrâce du duc de Choiseul.
En effet, lorsque la guerre éclata entre le roi d’Espagne et le roi de Grande-Bretagne pour l’obtention du territoire, le protocole voulait que Louis XV apporte son soutien aux Bourbons d’Espagne. Le duc de Choiseul implora le roi d’entrer en guerre pour soutenir l’Espagne alors que ce dernier ne souhaitait pas se mêler au conflit, le ministre plaçant au delà de toute conviction politique la solidarité ancestrale entre Bourbons. Épuisé par les hardeurs de Choiseul, Louis XV profita de la crise des Malouines pour débarrasser sa favorite de son ennemi intime. Le duc de Choiseul fut contraint par missive à demander sa démission à la veille de Noël 1770.

La rumeur de la disgrâce du duc de Choiseul se répandit jusqu’à Vienne où la future Dauphine, Marie-Antoinette, s’apprêtait à faire son entrée à la Cour de France. Le Ministre étant à l’origine de l’alliance censée symboliser l’union des deux pays jusqu’alors ennemis la reine, Marie-Thérèse d’Autriche, vit d’un mauvais œil le départ de son interlocuteur privilégié. De plus, le bruit courait que le roi se serait entiché d’une roturière au passé de fille de joie. D’un naturel austère et par crainte de voir sa cadette pervertie, la souveraine mit en garde la jeune Marie-Antoinette, l’implorant de se tenir éloignée de cette femme aux mœurs dissolues. Cette recommandation est probablement à l’origine de l’inimitié de la Dauphine envers la favorite bien que la jalousie n’en était pas totalement étrangère.

En outre, la jeune Marie-Antoinette avait quatorze ans le 16 mai 1770 lors de son mariage avec Louis-Auguste, futur Louis XVI. Jeanne en avait vingt-sept. Elle était au zénith de sa beauté et de sa gloire. L’imitation étant le plus haut degré de l’admiration, l’attrait qu’aura plus tard la reine pour les coiffures extravagantes accrédite cette hypothèse.
En effet, lorsque la Dauphine fit son entrée à la Cour, les courtisans furent unanimes sur le goût de Jeanne si bien que les dames de la noblesse s’inspirèrent de ses toilettes. Le style du Barry était extravagant avec des coiffures alambiquées et des couleurs voyantes. La Dauphine déplorait les excentricités de sa rivale alors que paradoxalement, une fois reine, elle en arbora de plus outrancières au point d’indigner la vox populi qui lui donnera l’égide de  » Madame déficit. »

Raisons et sentiments 

L’arrivée de Marie-Antoinette à la Cour marqua un tournant dans le quotidien de Jeanne. La Dauphine refusait d’adresser la parole à la favorite, obligeant son mari à prendre son parti. Face à ses tumultes, le roi fut contraint de rappeler la jeune Marie-Antoinette à l’ordre par l’intermédiaire de son précepteur l’abbé de Vermond. Sans succès. Jeanne ne se replia pas sur elle-même pour autant. La vie politique se déroulant dans ses appartements, elle occupait encore et toujours le premier plan. L’éducation de Zamor lui prenait le reste de son temps. Le petit page étonne la Cour par son instruction et sa vivacité d’esprit.
Néanmoins, Jeanne entrevoyait le sort qui lui sera réservé si Louis XV venait à mourir. Non seulement elle serait chassée de la Cour sans ménagement mais aucune rente ne lui serait allouée, ce qui lui rendrait difficile l’entretien de son château de Louveciennes. Aussi fut-elle décidée à profiter de chaque minute de sa vie à Versailles.

Il lui fallut attendre l’intervention de la reine Marie-Thérèse pour que Marie-Antoinette se montre davantage conciliante. Après plusieurs tentatives de rapprochements avortées par des manigances de Cour, à l’occasion des vœux pour 1772, la Dauphine lui octroya quelques mots désormais entrés dans la postérité :  » Il y a bien du monde à Versailles aujourd’hui. »

La vie de Jeanne du Barry vacilla le 26 avril 1774 alors qu’elle dînait avec son amant au château du Petit Trianon. Louis XV, épuisé par une partie de chasse, se plaigna de violents maux de tête. Au cours de la nuit, la jeune femme fit appeler le médecin personnel du roi, lequel, inquiet par l’état du souverain ordonna son retour à Versailles. La situation était critique. Le roi, déjà affaibli depuis quelques mois, souffrait le martyr et aucun calmant ne parvenait à le soulager.

Jeanne, dévastée par la maladie de son amant, demeurait jour et nuit à son chevet. Le diagnostic finit par tomber. Le roi était atteint de la variole. En dépit de contagiosité du mal dont souffre le roi, Jeanne ne le quitta pas. Ce n’est que le 3 mai 1774, lorsque Louis XV comprit qu’il était condamné qu’il demande à sa maîtresse de se retirer à Louveciennes. Le protocole exigeait que les favorites royales quittent Versailles avant le décès du roi et Louis XV ne dérogea pas à la règle. Ses derniers jours furent consacrés à la dévotion auprès de l’abbé Maudoux, son confesseur. Le roi décéda le 10 mai 1774. Avant de mourir, dans un dernier sursaut d’amour et d’agonie, il demanda à l’abbé qu’on lui emmène Madame du Barry. Ce dernier lui répondit qu’elle était déjà partie …

Jeanne apprit la mort de son amant au matin. Dans les jours qui suivent, Louis-Auguste devenu Louis XVI, probablement influencé par son épouse, lui interdit de reparaître de la Cour et d’assister aux obsèques. Pis encore, elle n’eût plus le droit de pénétrer dans le périmètre de Versailles, chose qui condamna son accès à Louveciennes. À l’humiliation succéda l’infâmie : la jeune femme fut contrainte à l’exil au sein de l’abbaye du Ponts-aux-Dames à Meaux. C’était le coup de grâce pour l’ancienne favorite en titre.

Le soleil se lève aussi

Là-bas, Jeanne fut placée sous l’autorité de l’abbesse Gabrielle de la Roche-Fontenille. Si les visites lui étaient interdites, son courrier était également surveillé, lui rendant impossible toute communication avec l’extérieur. L’ancienne maîtresse royale, habituée au faste et au luxe, retrouvait l’austérité de sa formation chez les Dames de Saint-Aure. La protection de son père en moins. Au fil des mois, l’abbesse se rendit très vite compte des solides connaissances en théologie de sa nouvelle pensionnaire. Étonnement, la religieuse se prit de sympathie pour la jeune femme qui se révélait sérieuse et fort pieuse, lui autorisant même quelques visites.

Ainsi lui arriva t-il de recevoir l’épouse de son ancien amant, le duc d’Aiguillon mais aussi un courtisan qui autrefois la convoitait, le séduisant duc de Brissac. Ce dernier, épris depuis le premier jour, se chargea de lui rendre sa liberté afin de lui prouver la sincérité de son inclination. Le duc de Brissac intervint donc auprès du nouveau Choiseul, le comte de Maurepas, qui désormais faisait la pluie et le beau temps auprès du roi. Sous l’influence de son principal ministre et par respect pour l’amour qu’entretenait son grand-père pour son amante, Louis XVI consentit à ce que Jeanne quitte l’abbaye de Ponts-aux-dames. Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, cet intermède à Meaux lui permit de faire son deuil dans la foi et la quiétude dont elle avait besoin pour reprendre sa vie en main.

Son amant décédé, son château de Louveciennes sous scellés, Jeanne du Barry avait trente et un an quand elle fit l’acquisition de sa propriété de Saint Vrain.
Elle y mena une vie de célibataire des plus modernes, s’enivrant de réceptions et de promenades dans son jardin. Une Cour masculine se pressait autour de la jeune femme dont la beauté ameutait les plus grands du royaume. Le duc de Brissac était évidemment de la partie. Plus que jamais déterminé à la séduire, il se chargea de propagander auprès du roi afin qu’elle obtienne la rente qui lui est due mais surtout qu’elle puisse récupérer le château de Louveciennes. C’est chose faite en 1776 où Louis XVI accepta enfin de le lui restituer. S’entama alors une romance des plus passionnées avec son chevalier servant le duc de Brissac.

Nommé gouverneur de Paris à la suite de son père, le duc de Brissac était un quinquagénaire charmant qui vouait un amour sincère à la comtesse du Barry. Leur liaison s’apparentait à une amitié amoureuse, entremêlée de confidences et de déclarations enflammées. Bien que de vingt ans son aîné, le duc de Brissac conservait une apparence athlétique qui faisait de lui un très bel homme. Comme Jeanne, il possédait de grands yeux bleus et un charisme qui faisait de lui un des meilleurs partis de Versailles.

Leur histoire d’amour était sans ombrages, d’une grande simplicité. Pendant plus de seize ans, ils se sont aimés d’un amour pur et teinté de romantisme, comme en témoigne leur correspondance. Le duc de Brissac, aux antipodes du Comte du Barry, offrait à Jeanne la sérénité dont elle avait besoin après ses années de faste. Elle obtint auprès de son amant la quiétude à laquelle elle avait toujours aspiré. Le duc était fort riche, généreux et, à l’instar de Louis XV, l’érigeait en reine.

Aussi, malgré une brève incartade avec son voisin anglais le Lord Seymour, Jeanne demeura inexorablement fidèle à celui qui a su lui prouver l’étendue de son amour en lui rendant notamment le château de Louveciennes.

Révolution , crépuscule et autres trahisons

À l’aube de la Révolution, Jeanne du Barry était une femme mûre qui entretenait désormais des relations cordiales avec la reine Marie-Antoinette. Cette dernière était devenue la risée du royaume à cause de ses origines autrichiennes et de sa supposée tendance à dilapider l’argent public. En connaissant le même ostracisme que son ancienne rivale, la reine finit par la comprendre et même par l’apprécier.

Lors de la prise de la Bastille, le peuple oublia l’ancienne favorite qui, à la hauteur des événements, était passée au second plan. Le duc de Brissac fut envoyé en Anjou pour défendre les intérêts royaux et Jeanne se retrouva donc seule à Louveciennes. Si elle se languit de lui, la comtesse du Barry ne s’intéressait guère aux tumultes qui secouaient le royaume. Ayant été chassée de Cour depuis près de vingt ans, elle ne se sentait plus concernée par ce qui avait attrait à la couronne. Aussi, comme de nombreux nobles, elle continua sa vie comme si de rien n’était.

Il fallut attendre le 15 février 1791 pour que la révolution vienne rattraper Jeanne du Barry. En effet, les pillages se multiplièrent à Paris et s’étendirent progressivement à la province. Les aristocrates en étaient les principales victimes. L’ancienne favorite n’avait pas l’impression d’appartenir à cette caste, aussi fut-elle la première surprise lorsque le maréchal des logis de Louveciennes lui apprit que son château avait été cambriolé. Jeanne était alors à Paris auprès du duc de Brissac et ce fut avec stupeur qu’elle découvrit que les parures autrefois offertes par Louis XV avaient disparues.

C’est le coup de massue pour Jeanne qui vit s’envoler en une nuit les souvenirs de son amour disparu. Les bijoux symbolisant son idylle avec le défunt roi, elle décida de tout faire pour les retrouver, quitte à attirer l’attention sur elle au sein d’une période fort délétère pour la noblesse. Les affiches de signalement se multiplièrent, décrivaient avec exactitude le luxe des parures, chose qui n’échappa pas aux révolutionnaires. Jeanne, bien décidée à retrouver ses bijoux, se rendit même en Grande-Bretagne lorsque le magistrat de la Cité, Nathaniel Parker-Forth, lui apprit l’arrestation des voleurs.
L’enquête piétinait. L’extradition n’existant pas, les aveux du receleur incriminant un certain Jean-Baptiste Levet, commanditaire du vol, ne furent pas probants. Si les hommes de main, des scélérats notoires, sont emprisonnés à la prison de l’Abbaye, les précieux bijoux ne sont pas restitués à Jeanne. Un malheur n’arrivant jamais seul, le duc de Brissac, devenu Commandant en Chef de la Garde Constitutionnelle du roi Louis XVI avant la convocation des états généraux, est arrêté à Orléans. Le souvenir de ses amours passés, désormais sous scellés Outre-Manche, son bonheur présent en danger, c’est l’univers tout entier de Jeanne qui fut chamboulé. Toujours combative, elle accompagna son amant dans sa captivité en le visitant quotidiennement à la prison d’Orléans. Comme autrefois durant l’agonie de Louis XV, Jeanne ne quitta pas ce qui sera le lit de mort du duc de Brissac. 

Le 9 septembre 1792, alors en plein transfert pour Paris, le convoi de ce dernier est attaqué à Versailles. La foule piétinait les prisonniers, les démembraient à même le sol jusqu’à ce que mort s’ensuive. Comme ultime provocation, la tête du duc de Brissac fut jetée dans le jardin du château de Louveciennes.

Affaiblie par la disparition de son dernier amour, l’ancienne favorite n’était plus que l’ombre d’elle-même. La plupart des grands noms de l’Ancien Régime était soit emprisonnée soit assassinée, ce qui la plaça dans une profonde solitude. Aussi, seule la perspective de retrouver ses bijoux la maintint en vie. Les aller-retours en Grande-Bretagne se multiplièrent.
La confiscation de son château de Louveciennes la condamna à mort puisqu’elle quitta Londres pour tenter de faire valoir ses droits et s’exposa ainsi à la violence des révolutionnaires.

Son ancien page Zamor, l’enfant que Jeanne éleva comme son propre fils la dénonça sans scrupules au Tribunal révolutionnaire. Pour le jeune homme, les séjours en Angleterre de son ancienne protectrice relevaient du contre-espionnage en faveur de la couronne. Zamor a alors été récupéré par les Jacobins qui firent de lui un membre du Comité de sûreté générale et voua une haine sans merci à Jeanne du Barry.
Sous les accusations accablantes de son ancien page, elle est emprisonnée à la prison de Saint-Pélagie, dans la même cellule qu’occupa ironiquement son ex-rivale Marie-Antoinette quelques semaines plus tôt. Zamor joua à nouveau un rôle clé dans son procès puisqu’il évoqua d’hypothétiques humiliations qu’il aurait subi pendant son enfance à la Cour. Ces dernières révélations entérinèrent la décision du Tribunal révolutionnaire de condamner  » la Du Barry  » à mort par guillotine.

Jusqu’au dernier moment, elle espéra récupérer ses bijoux si bien que même la veille de son exécution, elle tenta auprès des gardiens de monnayer son évasion pour partir à leur recherche. Le passé prenant le pas sur le présent, Jeanne s’y réfugia pour ne pas avoir à supporter la cruauté du sort qui lui était réservé. Un garde vénal utilisa son désespoir pour lui extorquer ses derniers bijoux en échange des parures. Jusqu’à l’échafaud, Jeanne du Barry attendit de revoir ses bijoux, symbole de sa victoire sur sa condition et de l’amour que le souverain lui portait.
Le 9 décembre 1793, au lendemain de sa mort, ironie encore, Zamor est arrêté par les Girondins avec, comme motif d’inculpation, d’avoir été le complice de son ancienne maîtresse.

Aux yeux de la mémoire collective, Madame du Barry incarne la frivolité de Louis XV, ce roi bien-aimé qui perdit la confiance de son peuple lors des dernières années de son règne. Plus largement, elle contribua au discrédit général des Bourbons et à la déliquescence du pouvoir royal de la fin du XVIII -ème siècle. Or, il est évident que la dernière favorite était bien plus que cela. Il s’agissait d’une femme profondément moderne qui parvint à gravir une à une les marches de la société pour se hisser à son sommet. Amoureuse dans l’âme, sa beauté fût autant un atout qu’une malédiction tant elle attisa envie et jalousie. De Mademoiselle Lange, la demi-mondaine qui jouait de ses charmes pour quitter les bas-fonds de Paris à première dame tacite du royaume de France, Jeanne du Barry joua tous les rôles. Née fille du peuple, elle entra dans la noblesse sans être légitimée par ses membres avant de mourir, ironiquement encore, comme une reine.

© Mélanie Gaudry
 
 

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