« Merci Simone ! » Hommage à la grande Simone Veil


« Merci Simone ! » 

Je me souviens des manifestations féministes auxquelles j’ai participé en tant que journaliste en 2018-2019. Dans la rue, les femmes scandaient : « Merci Simone ! », une exclamation qui est, par ailleurs, le nom d’un collectif de street art rendant hommage à la grande Simone Veil.

Comment ne pas lui dire merci ?
Nous qui lui devons tant : son engagement, sa force et son courage. Elle incarnait une certaine élégance et une sensibilité que j’admire tout  particulièrement, un véritable modèle pour la femme moderne, un modèle qui tend à s’éteindre de nos jours. Son décès, en 2017, m’a profondément émue, et je pense que beaucoup de femmes ont ressenti un « instant d’errance » à l’annonce de sa disparition.
Simone Veil avait su élever sa voix pour les droits des femmes, provoquant une certaine haine qui, malheureusement, est  encore présente aujourd’hui dans certains milieux conservateurs. Pourtant, si le féminisme retient d’elle son fameux texte de loi concernant l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), son histoire aux multiples chapitres est toute aussi intéressante à découvrir.
J’aimerais évoquer,  en particulier, deux aspects importants de sa vie qui m’ont toujours intéressée parmi ses  combats : l’enfant de guerre qu’elle fut, devenant une véritable voix pour la mémoire de la  Shoah, et la femme politique extraordinaire et controversée à l’origine de la loi Veil.  

Enfant de guerre 

Simone Jacob est née à Nice, dans les Alpes-Maritimes, le 13 juillet 1927 dans une famille juive. Son père est architecte et sa mère est étudiante en chimie – elle deviendra mère au foyer pour élever ses enfants. Mais, le tumulte touche très vite la famille : Simone n’a que deux ans quand la crise de 1929 les touche, mettant ainsi fin à la paix familiale. En effet, l’enfant  évolue déjà au sein d’une Histoire qui éclate. L’instauration du régime de Vichy au début de la Seconde Guerre mondiale (10 juillet 1940) entraîne les premières rafles contre les Juifs, les  obligeant à se déclarer auprès des autorités. La famille de Simone n’y déroge pas : son père ne peut plus exercer son travail, et sa mère tente de nourrir la famille tout en poursuivant ses études.  Le climat est profondément antisémite et hostile, les arrestations se multiplient. Simone a 16 ans lorsqu’elle est arrêtée le 30 mars 1944 à Nice, lors d’un contrôle de rue effectué par des Allemands en civil. Elle est emmenée à l’hôtel Excelsior, quartier général des Allemands, où les Juifs arrêtés sont regroupés. Plus tard, sa famille sera également repérée, et tous sont déportés au Camp de Drancy. Simone part pour Auschwitz par le convoi n° 71 du 13 avril 1944 avec sa mère et l’une de ses sœurs. Son père et son frère, quant à eux, partent vers la Lituanie où ils y perdent la vie.  

Une fois arrivée à Auschwitz, Simone rencontre un prisonnier parlant français qui lui  conseille de mentir sur son âge et de déclarer avoir plus de 18 ans pour éviter l’extermination,  ce qu’elle fera. Elle est ensuite sélectionnée pour le travail forcé et reçoit le matricule 78651, qui lui est tatoué sur le bras.

Elle doit alors «
décharger des camions d’énormes pierres », « creuser des tranchées et aplanir le sol ». Simone, sa mère et sa sœur sont, plus tard, déplacées au camp annexe de Bobrek, à cinq kilomètres de Birkenau. Lors de l’évacuation du camp de Bobrek en 1945, les SS (Schutzstaffel) transfèrent les prisonniers au camp de Dora, lors d’un voyage en train de huit jours où ils ne reçoivent ni à boire, ni à manger ; puis, au camp de Bergen-Belsem. Simone travaille en cuisine. Malheureusement, sa mère meurt du typhus. Sa sœur est sauvée par les troupes britanniques le 15 avril.

Simone rentre en France en mai 1945. Elle tait ces souvenirs douloureux durant de nombreuses années avant de témoigner, dans un documentaire en 1976, ses traumatismes. Par la suite, elle évoque sa déportation dans son livre autobiographique Une vie (2007) et lors d’un enregistrement de 5h30 pour la Fondation pour la Mémoire de la Shoah en 2006. Rappelons le, cet entretien a été initié par Simone elle-même lorsqu’elle était présidente de la Fondation. Elle est ainsi devenue une voix indispensable pour le devoir de mémoire : 

« « Plus jamais ça », c’est ce que disaient les déportés. Nous avions très peur de disparaître tous et qu’il n’y ait aucun survivant pour raconter cette tragédie. Il fallait que certains survivent pour pouvoir dire ce  qui s’était passé et qu’il n’y ait plus jamais de semblable catastrophe. Aujourd’hui, à chaque accident, ou même pour des faits divers, on proclame « plus jamais ça », à tout propos et sans aucun discernement. Plus que le négationnisme, le danger, c’est qu’on compare des situations qui n’ont rien à voir. C’est à dire la banalisation. »

Simone Veil – 1927-2017 – Interview, Le Nouvel Observateur, n°2097, du 13 au 19 janvier 2005

Femme politique : La Loi Veil, un tournant pour les droits des femmes 

Simone épouse Antoine Veil, inspecteur des Finances, le 26 octobre 1946 et donne naissance à 3 fils en 1947, 1948 et 1954. 

Elle obtient, en 1956, le concours de la magistrature et prend en charge les affaires judiciaires comme haute fonctionnaire de l’administration pénitentiaire. Elle devient, en 1970, secrétaire  générale du Conseil Supérieur de la Magistrature. Après la mort de Georges Pompidou et  l’élection de Valéry Giscard d’Estaing (1974), Simone est nommée ministre de la Santé sous le gouvernement de Jacques Chirac et le reste sous les gouvernements de Raymond Barre. La carrière et la vie de Simone prennent un nouveau tournant.

Simone est donc chargée par Valéry Giscard d’Estaing, alors Président de la République, de préparer un projet de loi portant sur l’interruption volontaire de la grossesse. 

Nous arrivons au moment fatidique, celui où nous clamons, et ce pendant des  générations, le fameux : « Merci Simone ! ». C’est elle qui monte à la tribune de l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974. Elle qui défend cette loi historique face à un hémicycle majoritairement masculin, dans un climat houleux et hypocrite. Lors de son discours, elle évoque notamment l’augmentation des avortements clandestins, leur dangerosité donnant lieu à de nombreux traumatismes et mutilations féminines. Surtout, elle prononcera ces mots :  

« Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement […], cela restera toujours un drame ».

Les jours suivants, Simone est violemment attaquée et insultée par des militants anti avortement. Pourtant, cela n’empêche pas la loi d’être adoptée le 29 novembre 1974, à raison de 284 voix « pour » et 189 « contre ». 

Résistante jusqu’au bout, dans sa chair déjà meurtrie par son histoire, elle est aujourd’hui encore, et plus que jamais, un symbole des droits des femmes. Mais, ceci ne fait que s’ajouter à d’autres distinctions notables. En 1979, elle est en tête de la liste d’Union pour la Démocratie Française lors des élections et élue première présidente du Parlement européen au suffrage universel direct jusqu’en 1982. Le 20 novembre 2008, elle entre à l’Académie française à la suite d’une élection au premier tour de scrutin, par 22 voix sur 29. Le 1er janvier  2009, elle est promue Grand Officier de la Légion d’Honneur, une distinction qu’elle a refusée quelques années plus tôt. 

Le 30 juin 2017, Simone meurt à son domicile parisien. Selon son fils Pierre-François,  le dernier mot qu’elle prononce est « merci » – un « merci » qui est sûrement murmuré par de  nombreuses femmes après son décès. Simone est également la cinquième femme à faire son  entrée au Panthéon, le 1er juillet 2018, après l’exposition de son cercueil au Mémorial de la  Shoah. Je me souviens encore aujourd’hui de cette journée à la fois lumineuse et triste. Nous  parlons toutes de Simone comme d’une amie, d’une femme élégante au doux regard, bienveillante, qui a permis à des générations de femmes d’avoir accès à des soins médicaux  adaptés à leurs choix. Une femme discrète, brillante, qui a vu les pires horreurs par le passé, et qui a accepté d’être lynchée au nom de nous toutes. Héroïne de toutes les guerres, inspiratrice sans faille. Il est de notre devoir de ne jamais oublier ses mots, de les prononcer encore et encore, de perpétuer ses combats qui, comme nous pouvons le voir dans certains pays et même le nôtre, sont remis en question. Simone nous invite à la lutte, à devenir maîtresse de notre vie.  Pour cela, Simone, je vous dirais toujours « merci ».  

« Je suis toujours rebelle ! C’est presque un réflexe : quand on me dit quelque  chose, immédiatement, j’ai envie de dire le contraire. »

©Manon Lopez

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