Son nom est très commun, et n’évoque plus grand-chose de nos jours. Pourtant, Lucie Baud est une femme qui a lutté pour faire bouger les lignes misogynes de son époque. Elle représente également l’ancienneté du travail féminin, souvent invisibilisé et minimisé par rapport à celui des hommes.
C’était une « simple » ouvrière dans le domaine du tissage. « Simple » ? Non pas ! Elle était surtout une travailleuse engagée et syndiquée. Elle est née en 1870, et dès ses 12 ans, elle part travailler aux côtés de sa mère. Direction l’usine !
En 1908, Lucie Baud fait le récit de son parcours ouvrier pour le journal Le Mouvement socialiste. Elle y raconte que dès ses premières années à l’usine, les 800 tisseuses de son usine travaillent « douze heures et, quelquefois, treize et quatorze heures par jour ».
À 18 ans, en 1888, elle rejoint une autre usine où les salaires commencent à baisser. Personne n’ose protester, aucune organisation syndicale n’y existe.
Avant 1902, Lucie Baud ne fait pas parler d’elle. C’est après le décès de son mari, garde-champêtre, qu’elle prend la tête du Syndicat des ouvriers et ouvrières en soierie du canton de Vizille. Elle a été chassée de son logement de fonction (associé au métier de son époux) et elle apprend que les patrons de son usine ont décidé de baisser les salaires et d’augmenter les cadences de travail. C’est comme un déclic qui lui révèle l’inhumanité du traitement infligé aux travailleuses.
Sa détermination est renforcée par sa rencontre avec Charles Auda, syndicaliste qui contribue à son éducation politique. Forcément, son combat comporte un aspect féministe dont Lucie Baud est consciente. Elle se rend bien compte que le monde syndical est lui-même misogyne : en 1904, à Reims, elle est la seule femme déléguée syndicale au Congrès national de l’industrie textile. Elle est applaudie à la tribune où ses camarades masculins lui offrent des fleurs, mais elle n’a pas l’opportunité de parler.
Ses principales actions se déroulent en 1905 et 1906, alors qu’elle mène deux longues grèves contre les licenciements et les baisses de salaire, dont un mouvement de grève de près de 104 jours qu’elle déclenche en 1905 dans son usine Deplan de Vizille. Lucie Baud évoque cette période comme une « guerre à outrance » contre le patronat, avec la mise en place de « soupes communistes » pour soutenir les ouvrières pauvres.
Après cette première grève, Lucie est contrainte de quitter Vizille pour trouver du travail à Voiron car les ouvrières qui avaient résisté n’étaient pas réengagées. A Voiron, elle arrive en pleine turbulence mais les 1500 ouvrières de cette usine sont encore très peu syndiquées. Une grève générale du tissage avait été déclarée en mars, et elle a duré jusqu’en juin, quand les patrons ont accepté un nouveau barème des salaires. A Voiron, Lucie Baud dénonce également les conditions atroces dans lesquelles les employeurs logent des ouvrières italiennes. Malgré quelques améliorations des conditions de travail, cette seconde grande grève est un échec. Lucie Baud est à nouveau renvoyée.
En 1906, elle fait une première tentative de suicide qui la défigure. Elle parle ensuite de « chagrins familiaux ». Pour l’historienne Michelle Perrot, qui lui consacre une biographie, « elle était abandonnée et critiquée par sa famille » qui se sentait peut-être délaissée par cette femme aspirée par son combat syndicaliste et féministe.
Elle déménage à nouveau et nous avons peu d’informations avant la publication de son témoignage dans Le Mouvement socialiste en 1908 : Les tisseuses de soie dans la région de Vizille.
Nous savons ensuite qu’elle décède à 43 ans, en 1913.
En 2012, Michelle Perrot publie Mélancolie ouvrière qui raconte le parcours de lutte syndicale et féministe de Lucie Baud. En 2018, le réalisateur Gérard Mordillat adapte cet ouvrage en film, en s’appuyant également sur le mémoire publié par Lucie. Il montre bien le destin d’une femme incarnant son combat de tout son être, avec force mais aussi avec sobriété.
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